Avant d’aborder l’évaluation de la Métropole de Lyon, il paraît utile d’en rappeler le contexte de la création, marqué par un très large consensus, du rapport Balladur en 2009 à la loi MAPTAM, jusqu’à sa mise en œuvre, en 2015, avec le premier pacte de cohérence métropolitain. Les élus communistes se sont toujours démarqués de cette orientation vers une métropolisation qui n’est, pour nous, qu’une remise en cause du triptyque commune-département-nation au profit de ce qui éloigne les institutions des citoyens, le triptyque métropole-région-union européenne.
Or, l’enjeu principal auquel aucune des réformes institutionnelles engagées depuis des décennies n’ont apporté de réponses, le seul qui nous intéresse, c’est la vie démocratique, la citoyenneté, le sentiment national, la confiance que la majorité des français accordent aux institutions, aux élus, aux forces politiques. Même l’élection présidentielle actuelle est confrontée à cette fracture politique.
Exagérons-nous en évoquant la remise en cause des communes ? C’est Gérard Collomb qui disait, en 2009, lors du célèbre débat présidé par Gérard Larcher à la préfecture de Lyon : « Il faut une métropole de Saint-Etienne au Nord-Isère, capable de concurrencer Barcelone et Munich, (…) qui prenne les compétences du département, de la communauté et des communes ». Ce que complétait Michel Mercier : « On ne peut pas dire qu’on ne touchera pas aux communes ! Bien sûr que si, on touchera aux communes ». La vidéo de cet évènement n’est plus accessible sur le site du sénat, c’est dommage.
La loi MAPTAM est bien le résultat de la volonté politique d’une nouvelle institution se situant dans la concurrence mondialisée des grandes métropoles européennes, capable de parler aux multinationales pour se partager leurs sièges. C’est le discours de l’attractivité dont on connaît les conséquences : le dépeuplement de campagnes, la désindustrialisation des territoires, la remise en cause du tissu de services publics, le désinvestissement dans nos infrastructures -de nos ponts à la fermeture des lignes de chemin de fer.
C’est pourquoi les objectifs officiels de la loi que vous voulez réinterroger doivent être relativisés. Qui voulait vraiment « rationnaliser » ou « simplifier » ? Qui voulait vraiment « réduire le mille-feuilles ». Pour Gérard Collomb, il fallait prendre la main sur les compétences du département pour élargir l’autorité politique de la métropole. Pour Michel Mercier, il fallait sortir de l’impasse financière des emprunts toxiques. Le périmètre géographique, tout comme la relation aux communes n’ont été que des variables d’ajustement du processus législatif de la loi MAPTAM.
La géographie de la communauté urbaine est aussi diverse que la région et ne répondait, historiquement, qu’à l’objectif politique d’assurer une domination politique de droite. Le territoire de la métropole ne répond à aucune logique territoriale : ni celle des bassins d’emploi, ni des déplacements, ni des réseaux d’eau, ni des circuits alimentaires, ni de la gestion des déchets ou des approvisionnements énergétiques. L’autorité organisatrice des déplacements est nécessairement plus large que la métropole, et l’enjeu principal du rail a buté, jusqu’à aujourd’hui, sur l’incapacité des acteurs successifs à coopérer. Le niveau d’investissement nécessaire dans le traitement des déchets rend nécessaire de raisonner au-delà de la métropole, notamment avec la fermeture prochaine du site d’enfouissement de Roche-la-Molière. Les réseaux d’eau qui alimentent plusieurs communes de la métropole sortent de ses limites administratives. L’approvisionnement en bois énergie, essentiel aux objectifs des réseaux de chaleur, tout comme les circuits alimentaires, pour répondre aux objectifs de circuit-court, sont évidemment régionaux…
Quant aux compétences, l’ajout des réseaux de chaleur n’a pas changé la capacité politique d’agir pour leur développement, le pouvoir de police de circulation s’est traduit par une convention laissant les communes instruire les arrêtés -la séparation entre circulation et stationnement a compliqué, au lieu de simplifier. Et le débat sénatorial a conduit à préserver le SIGERLy, outil reconnu pour sa réussite et la qualité de sa relation aux communes.
Bref, le seul et vrai changement est politique : l’instauration du suffrage direct par circonscription, et sa conséquence était connue de tous. Monsieur Buffet, permettez-moi de vous rappeler que vous le saviez bien quand vous avez suggéré que la commune d’Oullins devienne le 10ème arrondissement de Lyon. Vous disiez au sénat, en 2013, avant de voter la loi : « Pour l’instant, les communes ne sont pas remises en cause. Mais une légitimité, née de nouvelles élections, donnera à la Métropole énormément de puissance. On va se retrouver, de fait, sans le niveau communal. »
Évidemment, le suffrage universel direct est une bonne chose quand il y a une souveraineté politique qui ne peut qu’émaner du peuple. C’est le débat de fond que le compromis de la loi MAPTAM a laissé en plan. S’il y a souveraineté politique de la métropole sur ses compétences, alors elle s’impose aux communes. S’il y a souveraineté politique des communes avec la compétence générale, alors la commune peut dire non. La loi s’est déchargée de cette question sur le pacte de cohérence métropolitain. Mais celui-ci n’a jamais abordé vraiment ce partage de la souveraineté politique.
Notre groupe a proposé un amendement au pacte -refusé en 2015, accepté en 2020-, insuffisant, pour organiser vraiment la relation entre communes et métropole, mais symbolique, avec la possibilité, pour une commune, de faire reconnaître son avis sur une délibération métropolitaine. Car, beaucoup des compétences métropolitaines sont des compétences partagées avec les communes. Cette notion de partage est floue. Une compétence est ou n’est pas déléguée ou transférée. Pourtant, sur de nombreux sujets, la métropole a besoin des communes pour mettre en œuvre ses politiques. Dès que la relation avec les citoyens est essentielle, et c’est souvent le cas, alors la vérité politique de la place des communes ressurgit et il faut faire avec elles.
Car la métropole est un outil de mutualisation qui nous semble indispensable, comme l’était la communauté urbaine, mais ce n’est pas qu’un outil de mutualisation. Pour la mutualisation, un syndicat intercommunal est un bon outil. Il ne porte pas de souveraineté politique et repose sur le consensus entre ses membres. D’autres syndicats, comme le SIGERLy, pourraient être une composante utile de la métropolisation : pour les réseaux de chaleur, les réseaux numériques, la transition numérique, … le succès du SITIV que je préside en est la confirmation… On peut s’interroger sur la gestion des déchets, qui suppose une forte implication des communes pour la prévention, la sensibilisation au tri et une forte mutualisation sur les outils de collecte ou de traitement.
Mais des politiques publiques essentielles supposent des orientations politiques globales, donc des choix qui ne peuvent être seulement la consolidation de choix communaux. La Conférence des maires et les conférences territoriales sont insuffisantes et alourdissent l’institution. Nous affirmons donc que le Conseil de métropole doit concilier la représentation des communes et l’équité politique, à l’échelle de la métropole, et que le pacte de cohérence métropolitain doit organiser la relation entre métropole et communes dans le processus délibératif. Comme on le fait historiquement pour l’urbanisme, la politique métropolitaine doit se construire avec chaque commune. Toute délibération devrait être transmise pour avis aux communes avant passage en conseil. L’avis d’une commune, sur son territoire, doit être contraignant pour la métropole.
Cette proposition inquiète certains. Pourtant, j’ai assisté, avant 2015, deux fois à la présentation d’une délibération en commission tout simplement retirée à la demande d’un maire. Cela n’a pas empêché la communauté urbaine de fonctionner !
Pour les élus communistes, si on se place à la hauteur du défi démocratique, alors il faut repenser nos institutions, inventer une république sociale et citoyenne et reconstruire les liens entre communes, métropole, départements et nation. Vous savez que les départements ont été dessinés autour de chefs-lieux atteignables en une journée à cheval. Je suis sûr que les propositions sénatoriales ne manqueraient pas si on lançait à un appel à idée sur un redécoupage général de l’organisation administrative de l’État autour des communes. Et la Métropole de Lyon redéfinie rejoindrait, alors, le statut normal des départements.
Mais le but de la mission sénatoriale n’est pas d’inventer la prochaine Constitution française pour une République sociale des jours heureux. Nous en resterons donc à l’évaluation de la métropole, 7 ans après sa création, 2 ans après sa première élection directe.
La CRC disait, en 2020, la métropole fonctionne mais « n’a pas atteint les objectifs de simplification et de clarification ». Comme toujours quand des réformes n’atteignent pas les objectifs déclarés, on demande d’en faire encore plus ! La CRC demande « une simplification de l’organisation administrative et politique », considérant que « la place des Communes et de leur rôle a besoin de clarification », espérant « une nouvelle ère qui pourrait être l’occasion de vérifier si ce modèle apporte une plus-value dans l’exercice des politiques publiques ». Au passage, la CRC se soucie tellement des habitants qu’elle a défendu les actions anti-fiscales sur la TEOM en demandant de provisionner massivement pour un risque qui s’est dégonflé puisque la métropole a, depuis, obtenu justice. Il faut traiter avec réflexion les préconisations de la CRC.
Depuis 2020, la majorité métropolitaine introduit de l’équité territoriale dans des politiques qui, jusqu’alors, relevaient du secret de cabinet. De la Dotation de solidarité communautaire aux projets de territoires, des règles de répartition transparentes sont décidées. Elle a engagé un processus de territorialisation pour se rapprocher des communes et de relance de la participation citoyenne. Il reste que nous faisons toujours face à une métropole des inégalités, à une fracture citoyenne profonde et qu’il est impossible d’y répondre sans changement de politique globale.
Pour conclure, notez que nous parlons d’une métropole des communes et des citoyens et pas d’une métropole des maires. C’est bien la relation entre communes et métropole qui est en jeu, de leurs représentation au conseil à la mise en œuvre des politiques publiques. Chaque maire décide, avec son conseil, comment la commune s’organise avec la métropole, mais nous refusons tout retour à une métropole des notables associés. Ce sont les communes qui doivent être reconnues par la métropole, avec leur maire -qui en est le représentant, mais la commune en tant que collectivité pleine et entière.
C’est le meilleur résumé de notre position, construire une métropole des communes et des citoyens.