M. le Conseiller R. Debû : Monsieur le Président, chers collègues, nous devons nous prononcer sur les subventions de fonctionnement pour les organismes œuvrant à l’accompagnement des bénéficiaires du RSA. Il s’agit d’une des compétences les plus importantes de notre collectivité, depuis que la Métropole de Lyon a récupéré les compétences départementales.
Ainsi, permettez-moi quelques mots sur les difficultés rencontrées par les ayants droit du RSA, et des efforts qu’il nous encore engager. Gardons en tête que les ayants droit du RSA font partie de nos concitoyens les plus fragilisés, qui cumulent les difficultés et discriminations. Cette situation pèse également sur la perception et l’estime de soi, sur le statut social, sur la disponibilité d’esprit des bénéficiaires.
Même si les services de la Métropole ont remplacé, en 2024, les divers parcours par un seul parcours socioprofessionnel, quel que soit le statut de la personne accompagnée, il n’en reste pas moins que la situation est vécue très différemment par les ayants droit.
En effet, depuis la contre-réforme de France-Travail, les récipiendaires du RSA se retrouvent sous une double tutelle, avec deux gestionnaires de fait. Or, les départements -et donc la Métropole- et France Travail ne poursuivent pas les mêmes objectifs.
Sur le site de la Métropole de Lyon, le RSA est ainsi décrit : « Il s’agit d’assurer un revenu minimum aux personnes sans ressources ou avec des faibles ressources ». Il s’agit bien d’une aide, d’un filet de sécurité pour nos concitoyens les plus fragiles économiquement.
France Travail -au corps défendant des conseillers- cherche avant tout à faire sortir les bénéficiaires de ses tableaux, à faire baisser les chiffres. J’emploie ces mots à dessein, car c’est bien le champ lexical du business qui a envahi ce qui a été « l’Agence nationale pour l’emploi ». Dans le jargon du métier, on parle de « gestion de flux », de « portefeuille » de bénéficiaires, de « chiffres cibles ».
Beaucoup de contrôles, de « flicage » disent les bénéficiaires, sous prétexte de lutte contre la fraude sociale -qui pèse, toutes caisses confondues, 1,5 milliards d’euros- là où la fraude et l’évasion fiscales sont estimées par un rapport sénatorial à plus de 80 milliards d’euros par an.
Aujourd’hui, l’obligation de 15 à 20 heures obligatoires -si ça peut être utile pour certains- représente une source de contraintes et d’angoisse pour beaucoup, avec la peur de voir amputer ou suspendre son allocation. Bien sûr, c’est un facteur lourd de non-recours aux droits. Souvent perçus comme infantilisants, ces dispositifs sont vécus comme un outil de contrôle et comme une perte de temps -surtout lorsque ces heures se cumulent avec ceux d’autres dispositifs d’accompagnement.
À titre d’exemple, l’association Solid’arté, qui accompagne les artistes au RSA, propose déjà de 15 à 20 heures d’ateliers auxquelles, à mon grand étonnement, s’ajoutent les 15 à 20 heures de France Travail. On peut donc monter à 35 heures, un plein temps…
À cela s’ajoute un aspect dont on parle peu, mais qui a des conséquences importantes. En l’occurrence, la numérisation poussée du suivi des bénéficiaires -et je ne parle pas ici uniquement de la numérisation des démarches. En effet, nous avons de nombreuses remontées, à la fois des récipiendaires et des associations qui les accompagnent, faisant état de difficultés induites par les outils informatiques, qui ne permettent pas suffisamment de souplesse. On a bien souvent l’impression que c’est l’outil qui impose le cadre, pas l’humain… Or, par définition, chaque situation est singulière, et demande un suivi individualisé et humain. Aujourd’hui, il faut donc jongler avec le logiciel, sans pouvoir outrepasser certains champs bloquants… Cela crée beaucoup de difficultés.
Permettez-moi d’illustrer mon propos.
Il ne vous aura par échappé que les acteurs de la culture sont, en ce moment, particulièrement mobilisés, eu égard au sort qui est fait à ce secteur essentiel de la vie en société et à la démocratie. Les coupes budgétaires à répétition du ministère, celles des collectivités territoriales -telle la Région des Pays de la Loire- ont fini d’anéantir l’environnement socio-économique de ce secteur. Le secteur culturel est sinistré, les acteurs rencontrent les pires difficultés.
Il s’agit, pourtant, d’un secteur d’activité économique qui pèse près de 50 milliards et sans lequel l’industrie du luxe ne serait rien. Secteur d’activité qui repose, bien évidemment, sur les créatrices et créateurs -ces travailleuses et travailleurs de l’art, qui font la richesse, la diversité, la renommée de la France dans le monde entier.
Pourtant, le Syndicat national des artistes plasticiens (le SNAP) rappelle que le revenu médian des artistes-auteurs s’établit à 1 531€… par an ! Oui, 1 531€ par an. Chacun comprendra donc que les créatrices et créateurs ont souvent une ou plusieurs autres activités, par forcément en lien avec le champ culturel d’ailleurs. Beaucoup d’autres sont bénéficiaires du RSA. Ils rentrent donc dans la catégorie des TNS (Travailleurs non-salariés). Car la création est un travail, pas un hobby ou une lubie.
Or, lorsqu’ils doivent renseigner leur situation, comme beaucoup des TNS, ils se retrouvent à cocher la case « autres ». Évidemment, les algorithmes de gestion n’aiment pas la case « autres », et s’il n’y avait pas d’intervention humaine, beaucoup de ces ayants droit se retrouveraient purement et simplement éjectés du système.
Bien sûr, il n’y pas de solution facile, d’autant qu’il s’agit, avant tout, d’une question de moyens -humains et financiers. Ce qui est d’autant plus compliqué puisque nous ne sommes pas maîtres des dotations et que nous « partageons » le suivi des bénéficiaires du RSA avec France Travail.
À tout le moins, il nous apparaît essentiel de renforcer la dimension et les moyens humains de l’accompagnement des bénéficiaires -notamment à travers les associations, qui font un travail remarquable avec des moyens dérisoires. Nous devons absolument nous interdire de rentrer dans une logique de sanction et, bien sûr, de toujours porter l’impérieuse nécessité de respecter la dignité des bénéficiaires en toutes circonstances.
Ces remarques ayant été faites, nous voterons, bien sûr, ces délibérations. Je vous remercie.
La vidéo de l’intervention : https://youtu.be/XbK0et0pTAo?t=20344