Mme la Conseillère ARTHAUD : Monsieur le Président, madame la Vice-Présidente, cher.e.s collègues, alors qu’au premier trimestre 2021 le taux de chômage a augmenté de 7,9 % sur notre territoire, l’emploi est la préoccupation première de nombreux habitants de la métropole.
Le dispositif qui fait l’objet de cette délibération, « Territoire zéro chômeur de longue durée », vise, pendant cinq ans, à recruter des demandeurs d’emploi de longue durée en CDI à temps choisi et sans sélection, au sein d’entreprises à but d’emploi pour exercer des activités non concurrentes avec les activités économiques déjà implantées sur le territoire. Son financement repose à la fois sur le fonds national d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée et sur le chiffre d’affaires de l’entreprise.
Sur la métropole, un territoire villeurbannais, Saint Jean, expérimente ce dispositif depuis 2017. La Métropole participe à son financement avec l’attribution d’une subvention de fonctionnement pour un montant maximum de 288 000 € ainsi qu’en reversant 138 626 € de contributions réelles, correspondant aux économies réelles réalisées sur le RSA (qui concerne 22 salariés sur les 89 d’EmerJean).
Nous ne pouvons que partager l’ambition de faire reculer le chômage de longue durée. Mais nous considérons que l’essentiel de la bataille pour l’emploi se joue dans l’économie, avec le rôle central des entreprises et, notamment, des grandes entreprises et de leurs investissements, comme avec le rôle tout aussi central de l’État et de ses investissements dans les infrastructures et les services publics. Nous rappelons aussi qu’on ne fait pas reculer le chômage en augmentant la précarité, en supprimant le droit du travail ni en individualisant les besoins de formations professionnelles. Selon le Comité des chômeurs et précaires de la CGT, « Territoire zéro chômeur de longue durée » est un prolongement des attaques portées contre les travailleurs avec la loi El Khomri et les ordonnances Macron : attaque contre les fonctionnaires et leur statut, poursuite de la casse de la Sécurité sociale, remise en cause du CDI et du droit du travail avec l’instauration d’un contrat unique, sans droits sociaux, tremplin vers encore plus de remise en cause du droit syndical et de développement du travail précaire.
Si nous partageons l’ambition du dispositif « Territoire zéro chômeur longue durée », faire reculer le chômage, nous sommes plus circonspects sur sa mise en œuvre et nous demandons à ce qu’une évaluation de ce dispositif, à Saint Jean, soit réalisée et portée à la connaissance de notre assemblée.
Cette évaluation est d’autant plus importante à réaliser que, depuis 2020, la Métropole a acté sa volonté de participer à l’extension de l’expérimentation sur son territoire. Nous demandons, comme le signale le rapport final du Comité scientifique d’avril 2021 : « de tirer les enseignements de la première expérimentation pour améliorer la méthode ». Ce retour d’expérience est d’une importance primordiale pour répondre aux questions que nous nous posons, et il doit se faire avec un Comité de suivi associant les syndicats de salariés et l’Inspection du travail.
Plusieurs points nous interpellent dans le dispositif existant :
– L’expérimentation Zéro chômeur doit normalement créer « des emplois nouveaux, non concurrentiels ». Or, le Comité des chômeurs et précaires de la CGT constate que 80 % des travaux effectués relèvent des compétences des agents territoriaux ou du tissu économique déjà présent localement. Nous en avons la démonstration, à Saint Jean, avec la médiation dans les transports, la collecte des déchets, … C’est très loin de l’annonce d’emplois nouveaux non concurrentiels et, pour les collectivités, ça peut devenir un effet d’aubaine… on n’a pas le budget pour assurer une mission publique ou la faire réaliser par une entreprise, donc on se sert de l’entreprise Zéro chômeur parce que ça coûte moins cher ! Il y a le risque, si cette démarche se développe, de venir mettre en cause des emplois potentiels d’agents territoriaux et de pousser des employeurs à tenter de profiter de ces travailleurs presque gratuits.
– De plus, les salariés qui s’inscrivent dans ce dispositif ont des emplois qui restent précaires et sont bloqués au SMIC horaire, quel que soit le niveau de qualification au moment du recrutement. C’est pourquoi nous demandons que ces emplois bénéficient d’une convention collective, ce qui n’est pas le cas actuellement, avec une grille salariale et une évolution. L’absence de fiches de poste entraîne une flexibilité et une polyvalence imposée, qui peut conduire à des retenues sur salaire, des entretiens disciplinaires voire des licenciements lorsque celles-ci sont contestées par les salariés ou leurs délégués CGT, comme à Saint Jean.
– Le rapport final du Comité scientifique d’avril 2021 propose également, comme piste d’amélioration, de « faire bénéficier aux salariés des dispositifs d’accompagnement professionnel et social et de formation professionnelle ». Cela signifie que les parcours professionnels des salariés des entreprises à but d’emploi ne sont actuellement pas viables à long terme et qu’il est difficile, pour les salariés, de monter en compétence et de construire un projet professionnel.
Pour conclure, je m’appuierai sur l’évaluation du dispositif réalisée par l’Union locale CGT de Villeurbanne qui souligne que, je cite : « Cette expérimentation ne produit pas le miracle annoncé. Son coût est significatif et elle doit être comparée aux autres dispositifs d’accompagnement vers l’emploi des chômeurs de longue durée. Ces dispositifs présentent l’avantage de combiner emploi, formation et soutien personnalisé, aspects quasi absents de l’expérimentation « Territoire zéro chômeur », qui risque d’enfermer des centaines de personnes dans des emplois publics peu rémunérés, peu productifs et coûteux. Il est donc souhaitable d’attendre la fin de cette expérimentation pour pouvoir en évaluer les effets avant d’envisager son extension. »
C’est donc dans l’attente d’une évaluation du dispositif « Territoire zéro chômeur » que nous nous abstiendrons sur cette délibération.
Notre groupe aura un vote différencié sur cette délibération.
Je vous remercie.