Il nous faut renforcer les moyens de la « première ligne » !

2023-1521 - Mise en place du programme Slime pour lutter contre la précarité énergétique dans l'habitat -

M. le Conseiller DEBÛ : Monsieur le Président, chers collègues, je n’ai jamais entendu autant de gens autour de moi se plaindre du froid -du froid au travail, du froid chez soi. Et si, dans une majorité de cas, il s’agit d’un choix plus ou moins consenti, sous les injonctions à l’économie afin de ne pas faire « tomber » notre réseau électrique ou, plus prosaïquement, afin de ne pas alourdir de trop les factures ; pour d’autres, il s’agit d’un non-choix.

Plus de 12 millions de Français sont en situation de précarité énergétique, dont 90 000 ménages dans notre agglomération. Ces chiffres augmentent d’année en année, dans un pays qui aura vu ses milliardaires accumuler des sommes colossales. D’après le rapport Oxfam, les 10 milliardaires les plus fortunés de France ont engrangé (sur le dos des travailleurs) 189 milliards d’euros, soit de quoi payer deux ans de factures d’électricité, de gaz et de carburants de tous les Français !

Et après, on vient nous raconter la fable du ruissellement…

La précarité énergétique a des effets délétères sur la santé de millions de nos concitoyens, allant jusqu’à entraîner la mort, et qui frappe évidemment les plus fragiles d’entre nous. Cela vient se surajouter à la précarité générale que subissent trop de nos concitoyens, mettant en danger des familles entières, notamment lorsque celles-ci doivent avoir recours à des modes de chauffages non adaptés l’hiver. L’impact est aussi mortel lors des périodes de grandes canicules.

Au-delà de la santé, il s’agit également qu’une question de dignité de la personne. Comment expliquer à ses enfants que l’on ne peut pas chauffer la maison, que l’on ne peut pas prendre une douche chaude, que l’on doit cuisiner sur un petit réchaud de camping, … ?

On mesure mal les dégâts sur l’estime de soi, sur la socialisation, sur la scolarisation des enfants.

Et cette situation est d’autant plus honteuse et insupportable que la France est l’un des pays les plus riches de la planète.

Les solutions pour éradiquer la précarité existent, bien évidemment. Et en attendant l’avènement du socialisme qui, comme chacun le sait, n’est autre que « les soviets plus l’électricité », il appartient à ce pays d’actionner au moins trois leviers.

Le premier est celui des salaires, évidemment. Nos milliardaires ne sont jamais aussi riches que leurs salariés sont pauvres. Mais, apparemment, il ne faut surtout pas toucher à nos grandes fortunes et à nos multinationales, au risque de faire baisser la compétitivité des entreprises. À la longue, le refrain est lassant, mais passons.

Nous pouvons, nous devons, agir sur les prix de l’énergie et, singulièrement, ceux de l’électricité. Une solution simple, et d’ailleurs mise en œuvre par l’Espagne et le Portugal, serait la sortie du marché européen de l’électricité. Marché qui indexe le prix de l’électricité sur celui du gaz, ce qui est une ineptie pour la France, dont la production électrique repose sur un mixte nucléaire-renouvelable, décarbonnée à 91 %.

Au-delà de la production, nous payons le prix de la libéralisation du marché de la distribution, qui a vu fleurir nombre d’opérateurs privés -qui ne sont que des intermédiaires, forts coûteux, entre les producteurs et les consommateurs, sans aucun apport sur la qualité du réseau ou du service. Ce n’est pas complètement par hasard si les 2/3 d’entre eux ont plié bagage cet hiver, mais, comme d’habitude, cela s’est fait au détriment de leurs clients.

Autre aberration de la libéralisation, l’Arenh, qui force EDF à céder 1/3 de sa production à 42€/MWh à des opérateurs qui spéculent sur le marché de l’électricité. Là encore au dépend des usagers ! Ce serait comme demander à Renault de céder à prix coûtant 1/3 de sa production à Peugeot, pour que celui-ci fasse du bénéfice dessus. Nous demandons l’abrogation de ce dispositif, qui n’est rien d’autre qu’un hold-up légalisé !

D’une manière générale, la reconstitution d’un véritable pôle public de l’énergie, au service de la population, est une nécessité politique et un des leviers majeurs de l’éradication de la précarité énergétique.

L’autre grand levier est la réhabilitation thermique du bâti. Si notre collectivité y prend sa part, et de manière assez volontaire, nous nous heurtons néanmoins au manque de moyen dévolu nationalement à cette question. Au rythme où nous allons, il faudra 40 ans au pays pour réhabiliter son parc de logements.

Il est donc nécessaire que l’État engage massivement des moyens à cet effet. Notre pays en a parfaitement les moyens. Sans doute que les 100 milliards de budget supplémentaire accordé aux Armées seraient plus utilement employés dans les politiques du logement car, sans moyens supplémentaires, nous nous trouvons souvent à arbitrer entre constructions neuves et réhabilitations, les deux étant pourtant également urgent.

Cela vaut, d’ailleurs, autant pour le logement social que pour les copropriétés dégradées, ce que l’incident meurtrier de Vaulx-en-Velin est venu tragiquement nous rappeler. Je voudrais en profiter pour assurer les vaudaises et vaudais de notre solidarité face à ce drame.

C’est dans ce cadre que nous est proposée la délibération sur la mise en place du programme Slime.

Si tout est bon à prendre dans la lutte contre la précarité énergétique, nous restons toutefois un peu sur notre faim.

Les actions que le CLER se propose de mettre en place sont légitimes, mais viennent quelque peu doublonner le travail de notre collectivité et des acteurs de l’action sociale, assistance sociale, MDM, CCAS. Si on a bien compris que le programme vise à obtenir des financements complémentaires, la modestie des interventions aux bénéfices des ayant-droits ainsi que le nombre de diagnostics interrogent. 1 200 diagnostics pour 90 000 foyers, ça reste malheureusement marginal.

J’ai également une interrogation sur la collecte et la propriété des données de la connaissance, qui sont un enjeu important de nos politiques sociales.

Et, en tout état de cause, cela montre bien qu’il nous faut renforcer les moyens de la « première ligne », dans les CCAS, MDM et autres maisons des services publics. La lutte contre la précarité énergétique fait partie d’un continuum d’accompagnement et, pour être bénéfique, nous devons intervenir sur tous les aspects de la vie des usagers. En effet, les personnes en précarité énergétique sont avant tout en situation de précarité tout court, et c’est donc de l’ensemble de nos politiques de solidarité dont ils ont besoin.

Nous voterons néanmoins cette délibération.

Je vous remercie.

La vidéo de l’intervention : https://youtu.be/uea1XtvCDrs?t=27090