Pour répondre aux enjeux sociaux de la période ?

N° 2017-2275 - Projet métropolitain des solidarités 2017-2022 -

Mme la Conseillère BURRICAND : Monsieur le Président, chers collègues, nous avons pris connaissance avec une vraie curiosité des documents qui constituent ce Projet métropolitain des solidarités jusqu’en 2022, et ce d’autant que nous l’attendions depuis plusieurs mois avec une impatience certaine. Et nous avons trouvé dans ce document de très nombreux éléments instructifs, éléments de connaissances quant à la réalité sociale de notre Métropole, réalité que nous connaissons bien mais que les chiffres détaillés confortent et précisent. Merci donc aux services pour ce travail.

Nous n’avons pas d’opposition aux quatre principes structurants ni aux quatre orientations transversales. Je soulignerai quelques points.

Nous apprécions que soit reconnu que, tout en garantissant l’équité pour tous, il faut faire plus envers les plus fragiles. Nous partageons la volonté que les publics, parfois les plus démunis, soient considérés comme des citoyens à part entière et, à ce titre, soient partie prenante des dispositifs auxquels ils ont recours. Vous me permettrez de préciser que si l’institution a le devoir de permettre la représentation des usagers, il faut tendre, même si ce n’est pas toujours facile, à ce que ces usagers puissent décider eux-mêmes de qui les représente et de quelle forme d’organisation ils se dotent pour y parvenir.

Quant à l’innovation, pourquoi pas, à condition que les opérations de communication ne prennent pas le pas sur la réalité de l’action et que nous ne nous déchargions pas de nos responsabilités sur le secteur associatif, voire sur des acteurs privés, qui pourraient substituer, mine de rien, à l’assistanat, voire à la vieille charité, la solidarité, qui est d’abord une redistribution des richesses du pays à ceux qui en bénéficient le moins.

Sur les 80 actions détaillées, certaines remportent immédiatement notre adhésion, comme la mise en place d’une nouvelle consultation de PMI -il y en a bien besoin !-, la promotion des centres de planification ou d’éducation familiale auprès des collégiens et des jeunes, la lutte et la prévention contre les violences familiales, les consultations préventives de puériculture. D’autres nous semblent aller de soi, comme le relais de messages de veille sanitaire -c’est tout de même la moindre des choses !-. D’autres nous interrogent, voire nous inquiètent au bon sens du terme : nous sommes, par exemple, très préoccupés de la situation des mineurs isolés qui sont dans les rues et nous partageons la volonté exprimée par RESF 69, d’une part, que des solutions doivent être trouvées et, d’autre part, que ces jeunes bénéficient du droit commun de la protection de l’enfance et non pas d’un dispositif dérogatoire qui leur serait spécifique.

Nous sommes aussi interrogatifs quant au développement des services dématérialisés au profit de l’usager, qui devrait s’accompagner d’efforts considérables, bien au-delà de ce qui est annoncé, pour réduire la fracture numérique et être conduit avec discernement. La proximité humaine est un élément essentiel de la solidarité et du vivre ensemble. Tirons le bilan, par exemple, de ce qui s’est passé à Pôle emploi.

Cependant, devant ces documents, nous restons sur notre faim sur quatre points.

L’ambition politique, tout d’abord, parce que les chiffres que vous donnez témoignent, d’une part, que dans notre riche Métropole la pauvreté perdure, voire augmente, avec un taux de 15,2 %, un peu plus élevé que le taux national, ce qui n’est pas complètement étonnant parce qu’on sait que les métropoles, en concentrant les richesses dans quelques territoires, contribuent au délaissement des zones périurbaines. Elles contribuent aussi à des déserts ruraux et elles jouent aussi une espèce de rôle d’aimant pour des populations qui pensent pouvoir y trouver emploi et services. Ces chiffres disent aussi que la fracture historique entre l’est et l’ouest dans notre agglomération perdure, voire s’aggrave, et ils indiquent bien que la pauvreté touche tous les aspects de la vie : logement, santé, école, etc.

Alors, si vous affichez dans ce projet la volonté de travailler mieux, vous ne fixez jamais l’objectif de réduire le taux de pauvreté de manière importante -en tout cas, ce n’est pas écrit- pas plus que de résoudre la fracture territoriale et sociale qui marque notre Métropole, ce qui revient à dire que vous l’acceptez. C’est, finalement, une impuissance avouée.

Il nous manque aussi l’urgence de la situation. Il y a des choses qui ne sont plus supportables : les 1 000 à 1 500 personnes dormant régulièrement dans la rue -en dehors du plan Grand froid-, dont de nombreuses familles avec enfants ! La pratique des expulsions qui perdure ! Les milliers de citoyens qui n’ont plus accès aux soins élémentaires concernant les lunettes, les dents ! Les temps d’attente pour que soient traités un certain nombre de dossiers de handicap, pour les rendez-vous avec les assistantes sociales ! Les personnels non remplacés ! Les familles démunies quand les enfants vont mal, quand leurs adolescents sombrent dans les addictions, les conduites à risque, démunies parce qu’il n’y a pas assez de structures d’accueil pour les recevoir vite.

C’est bien de savoir ce que nous faisons, ce serait encore mieux de savoir ce que nous ne parvenons pas à faire : l’adéquation entre les besoins et les réponses qui est tout de même très absente de ces documents, le non-recours au droit. Nous regrettons que nous ne nous fixions pas des objectifs plus précis et plus immédiats qui témoignent de la volonté de faire de la solidarité une vraie priorité.

Cela va avec -et c’est notre troisième réserve- une absence totale de transparence sur les moyens à mettre en œuvre par rapport aux objectifs annoncés, absence qui décrédibilise le meilleur de vos annonces.

Lors de la commission qui a présenté ces documents, j’ai entendu une fois de plus qu’on pouvait faire mieux avec moins. C’est ce genre d’adage qui a permis la fermeture de milliers de lits d’hôpitaux et conduit les personnels hospitaliers au bord de la crise de nerfs. Depuis bientôt vingt ans, le Pacte de stabilité européen et la réduction des dépenses publiques sont passés par là et nous savons tous qu’il n’y a plus rien à gratter. Aujourd’hui, quelle que soit la manière de travailler, moins c’est moins : moins de personnels, moins d’hébergements, moins d’éducateurs. Comment afficher des objectifs légitimes si les moyens nécessaires ne sont pas en face ?

Enfin, monsieur le Président, -et c’est notre dernière réserve- il y a une grande absente : c’est la politique gouvernementale, qui va aggraver -vous le savez bien- la situation sociale. Les ordonnances Macron vont accroître la précarité, grande pourvoyeuse de pauvreté, fragiliser salaires et salariés. La baisse des APL va rendre plus difficiles les missions des bailleurs sociaux, menaçant un peu plus la cohésion sociale et je vous passe diverses attaques sur les retraites, la Sécurité sociale, les hôpitaux. Et vous savez comme moi que le Gouvernement prévoit cette année 300 M€ de baisse des dotations pour les collectivités locales.

Comment maintenir le bon tempo dans une telle situation ? Ce serait bien, au moins, d’en débattre et nous rappelons la proposition que nous avions faite, avec d’autres, de sanctuariser un certain nombre de dépenses sociales et de permettre qu’elles échappent aux moins 6 %.

Nous voterons cette délibération par respect pour le travail accompli et les intentions annoncées mais elle nous semble être en dessous des enjeux sociaux de la période. Nous serons donc très attentifs à l’efficience et au devenir de ce projet. Prenons garde que la réalité sociale ne nous revienne pas comme un boomerang !