M. le Conseiller MILLET : Monsieur le Président, chers collègues, nous évoquerons dans un vœu l’anniversaire de la marche pour l’égalité de 1983, moment important pour cette politique de la ville qui veut -je cite l’ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires)- « réduire les écarts de développement au sein des villes, restaurer l’égalité républicaine dans les quartiers les plus pauvres et améliorer les conditions de vie de leurs habitants, qui subissent un chômage et un décrochage scolaire plus élevés qu’ailleurs, et des difficultés d’accès aux services et aux soins, notamment. »
Cette délibération finance les postes de directeur de projet et chargés de mission qui sont pris en charge à 45 % par les communes, 38 % par la Métropole et 16 % par l’État, un peu de plus de 100 personnes qui portent, à la fois, les 24 projets de rénovation urbaine et les milliers d’actions sociales développées dans les quartiers prioritaires.
Elle n’a de sens qu’au service de tous ces projets et, notamment, de ce que doit permettre le contrat de ville en renouvellement. Ce sera l’objet de notre intervention.
L’ambition affichée par l’ANCT ne peut pas n’être que celle de la politique de la ville, ce serait une impasse. Ses 600 millions, en 2023, représentent 0,1 % des 600 milliards de Crédits de paiement de l’État, 3,3 % de la mission cohésion des territoires… Ce n’est évidemment pas la cause des 164 milliards du déficit abyssal de l’État.
Non, l’ensemble des politiques de l’éducation, la culture, la police et la justice, la santé, l’alimentation, la solidarité, le sport, … doivent avoir pour objectif de réduire les inégalités et de restaurer l’égalité républicaine. Ce qu’on appelle le droit commun.
Or, un habitant des quartiers dits prioritaires consomme moins d’argent public qu’un CSP+ des quartiers aisés ! Il y a des études savantes d’économistes qui le montrent mais, permettez-moi un exemple simple, le financement public des places en crèche publique. L’accueil d’un enfant des quartiers coûte aussi cher par jour que celui d’un enfant de riche. Sauf qu’un couple de CSP+ mettra son enfant 5 jours par semaine à la crèche, quand les familles populaires se répartiront la semaine entre parents et grands-parents, n’utilisant la crèche que quelques jours ou demi-journées. C’est ainsi qu’un berceau en crèche accueille en moyenne 3 enfants. En fait, 4 ou 5 enfants de milieux populaires, et un de milieu aisé… En imposant la facturation à l’heure et les pointeuses, la CAF a contribué, en fait, à aggraver les inégalités.
On pourrait multiplier les exemples, mais permettez-moi un raccourci. Nous devons faire beaucoup d’efforts pour repérer le non-accès au droit chez les pauvres, quand les plus riches font tout pour bénéficier de la moindre aide publique, notamment fiscale ! Beaucoup de chefs d’entreprise font tout pour des subventions ou exonérations, avant d’aller dénoncer dans les médias les dépenses publiques… pour les pauvres !
Oui, la première mesure de la politique de la ville, c’est de mobiliser tout le droit commun, et nous savons que le vice-président Renaud Payre a organisé, pour cela, un énorme travail transversal avec toutes les directions de la Métropole pour les impliquer dans le futur contrat de ville.
Dans un monde idéal, le budget de l’État pourrait être massivement territorialisé pour en évaluer l’impact local. Certains diront que c’est impossible. Ce n’est pourtant pas très différent de l’ambition du budget vert, qui cherche à associer chaque dépense à son impact environnemental, positif ou négatif, et qui paraît-il pourrait s’imposer à notre collectivité.
Résumons ce premier point : la visibilité et la lisibilité du droit commun dans tous les quartiers est le premier enjeu de la politique de la ville.
Mais cela ne veut pas dire que les financements de la politique de la ville seraient inutiles. Ce qu’on a entendu après les émeutes du début de l’été, parfois dans le mépris –« Donnez-leur des millions, et ils brûlent tout ! »–, parfois de manière plus posée mais, toujours, … la politique de la ville coûte cher et elle est inefficace.
C’est un contresens total de ceux qui ne connaissent pas les quartiers populaires. Car, les premières victimes des émeutes urbaines sont bien les habitants des quartiers dont l’immense majorité ont tout fait pour protéger leurs quelques biens, voitures, poubelles et leurs équipements publics. Les familles populaires des quartiers sont les premières à être en colère devant l’impact des trafics dans nos quartiers -mais organisés d’ailleurs, dans des réseaux internationaux dont les décideurs et les banquiers sont dans les villes aisées et les pays peu regardants fiscalement. Et il n’y aurait pas de trafics sans clients qui, eux, sont partout et dont je répète qu’ils n’ont qu’à organiser le trafic chez eux, plutôt que de venir contribuer à pourrir un quartier qu’ils méprisent.
Oui, les trafics ont un impact terrible et ont joué un rôle important dans le financement des violences, cet été. Mais ces quartiers sont aussi des quartiers de créativité, de qualité humaine, de réussites scolaires, professionnelles, culturelles, sportives, scientifiques. Et il faut connaître la multitude d’actions rendues possibles par la politique de la ville pour comprendre à quel point elle est essentielle pour faire grandir le meilleur. Il faut avoir vu de la danse contemporaine dans une cour d’immeuble et se dire que des gamins de quartier émerveillés en auront, peut-être, construit un rêve. Il faut avoir vu le film « Divertimento », assister à la découverte de musique symphonique dans un quartier, avoir vu un gamin des Minguettes sur la scène de l’Opéra de Lyon chanter le chœur des gamins de Carmen, … pour comprendre que tout est possible pour eux, dès lors qu’on crée l’occasion. Il faut avoir vu ces jeunes des Minguettes, excusez si je parle beaucoup de mon quartier, venir à la rencontre d’entreprises dans l’espace public et se dire que, peut-être, des métiers inconnus leur sont ouverts parce qu’un professionnel leur en parle avec passion et respect.
Oui, la politique de la ville est de toute première importance pour la République, pour combattre le séparatisme du chacun pour soi, de l’entre-soi bourgeois de ces premiers de cordées d’où ne ruissellent que mépris et racisme.
Le Comité interministériel des villes, enfin réuni fin octobre, a évoqué beaucoup d’actions concrètes et utiles qui se traduiront certainement dans nos contrats de villes, mais nous n’avons rien entendu à la hauteur de ce qu’attendent les habitants, les associations, les élus, tous les acteurs de la politique de la ville. Les actions pour lesquelles le financement a été annoncé sont loin des besoins ! Il y a urgence pour des centaines de jeunes en rupture, multi-exclus de collèges, en précarité familiale, proie des réseaux et de la violence de la rue.
C’est ce que nous voulions dire à l’occasion de cette délibération en soulignant, monsieur le Président, qu’il faudra accompagner les nouveaux contrats de villes et la nouvelle géographie prioritaire. Nous avons bien noté que vous alliez maintenir une démarche métropolitaine en direction des anciens QVA (Quartiers de veille active). Il faudra aussi accompagner tous les outils de la politique de la ville, financer la programmation sociale et pas seulement les quartiers d’été, participer aux cités éducatives et tenir compte que la GSUP (Gestion sociale et urbaine de proximité) est, aujourd’hui, principalement financée par les communes, compte tenu des réformes fiscales.
Oui, nous sommes des ardents défenseurs de la politique de la ville !
Je vous remercie.
La vidéo de l’intervention : https://youtu.be/tHYMFnP-Zjw?t=2461