Face à la colère du monde paysan et les difficultés auxquelles les exploitants sont confrontés…

2024-2250 - Subventions de fonctionnement au Réseau des associations pour le maintien de l'agriculture paysanne (AMAP) AuRA, au Comité d'action juridique du Rhône, à la coopérative Les fermes partagées, à l'association Solidarités paysans Rhône-Alpes et à l'association Réseau Marguerite - 2024 -

M. le Conseiller DEBÛ : Monsieur le Président, monsieur le Vice-Président, chers collègues, cette délibération intervient dans un moment où les questions agricoles sont particulièrement d’actualité, suite au mouvement de contestation lancé par les agricultures -avant, puis pendant le Salon de l’agriculture de Paris.

Ce mouvement revendicatif a touché l’ensemble du territoire national et la métropole, bien qu’essentiellement urbaine, n’y aura pas échappé. Les revendications sont nombreuses, parfois contradictoires, souvent manipulées, mais elles expriment à la fois la colère du monde paysan et les difficultés auxquelles les exploitants sont confrontés.

Le premier constat, largement partagé, est qu’à quelques exceptions près les agriculteurs ne peuvent pas vivre dignement de leur travail. Ils se retrouvent, ainsi, dépendants des aides publiques et, en premier lieu, des aides de la PAC.

En effet, au-dehors des grands céréaliers, les coûts des cycles de production des produits agricoles sont supérieurs aux prix de vente des exploitants, avec des proportions plus ou moins importantes suivant les filières. Ainsi, le coût de production du litre de lait est pratiquement deux fois supérieur au prix auquel il est acheté. Ce n’est donc pas sans raison que les éleveurs laitiers sont allés bloquer Lactalis.

Et pour cause, alors que jusqu’aux années 80 la PAC visait à produire au maximum afin de nourrir l’ensemble de la population à bas prix, intervenant volontairement sur la formation des prix, cette orientation a été progressivement abandonnée au profit de la libéralisation du secteur agricole.

On notera, au passage, que le maintien de prix alimentaires bas permettait de maintenir des salaires bas pour l’ensemble de la population.

Aujourd’hui, la logique libérale a contaminé tous les aspects de l’agriculture, qui se trouve intégrée dans un marché mondial dérégulé. Or, les prix de marché sont volatils. Du fait de la mondialisation des échanges, un choc climatique, sanitaire ou encore géopolitique sur une production donnée -qu’il se produise ici ou à l’autre bout de la planète- aura des répercussions sur les prix mondiaux. Et c’est sans compter l’appétit des spéculateurs, qui voient cette imprévisibilité manifeste comme un support privilégié de pari.

Cette fluctuation des prix impacte considérablement les agriculteurs qui, contrairement à d’autres agents économiques, voient le marché imposer les prix de vente du résultat de leur travail. Ces derniers ne tiennent donc pas forcément compte des coûts de production. En l’absence de contractualisation, les producteurs peuvent se retrouver avec des hausses ou des baisses considérables d’une année à l’autre, comme l’atteste la flambée des cours des céréales à la suite du conflit ukrainien et, aujourd’hui, l’opposition grandissante à l’entrée de ces mêmes céréales sans droits de douane dans le marché européen.

Ce manque de visibilité compromet l’investissement, l’embauche éventuelle de salariés et met en danger le revenu agricole. À superficie et rendement similaires, quelle est la garantie de pouvoir rembourser l’annuité du tracteur ou de la stabulation si les prix chutent d’une année sur l’autre ?

Plus encore, les producteurs se trouvent lésés dans le partage de la valeur par des prix formés par l’aval de la filière. Un prix est aussi le produit d’un rapport de forces commercial, et non d’une relation entre offre et demande.

En la matière, l’aval de la filière (coopératives et négoce, transformateurs, distributeurs, etc.) tire son épingle du jeu. Tout réside dans une situation d’oligopsone avec, d’un côté, une myriade de vendeurs, les agriculteurs, dispersés sur le territoire et aux intérêts parfois contradictoires et de l’autre, un petit nombre d’acheteurs, d’agents commerciaux, nouant des alliances stratégiques entre eux et disposant de multiples relais d’influence.

Quand il s’agit de déterminer les prix, comment faire le poids face à un cartel de quatre géants mondiaux du négoce de céréales ? … face à quatre centrales d’achat ? … face à un industriel qui représente plus de la moitié des volumes de viande bovine consommés en France ? … L’Observatoire de la formation des prix et des marges signale dans son rapport au Parlement de 2022 que, en 2018, sur 100 € de consommation alimentaire finale, moins de 7 % de la valeur totale revient au producteur contre 15 % captés par la grande distribution et 10 % par les industries agroalimentaires.

Même regroupés en organisations de producteurs, les agriculteurs ne font guère le poids face à des filières majoritairement construites pour acheter à bas prix des biens peu spécifiques, destinés à être écoulés en masse pour satisfaire une consommation de masse. Telle est la logique de l’industrialisation de filières qui prennent en étau le producteur. De tels rapports sociaux de production et d’échange tirent les prix vers le bas pour satisfaire les intérêts de transformateurs voulant payer la matière première le moins cher possible et ceux de distributeurs qui se livrent une guerre des prix acharnée.

Dans ce contexte, les AMAP cherchent à se soustraire de la domination de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution en shuntant ces intermédiaires pour établir une relation directe du producteur au consommateur.  Les producteurs cherchent, à travers les AMAP, à se garantir un revenu plus stable et prévisible, bien qu’ils soient soumis aux aléas climatiques et sanitaires comme tous les autres.

La Métropole est parfaitement dans son rôle lorsqu’elle intervient en soutien aux AMAP, tel que proposé dans cette délibération. Et cela d’autant plus qu’il existe une forte marge de progression.

En effet, si je me souviens bien des ordres de grandeurs que nous avait donné Jérémy Camus, plus de 80 % de la production agricole métropolitaine est consommée à l’extérieur du territoire tandis que 90 % de la consommation du territoire est produite à l’extérieur de la métropole.

Cela paraît évident pour un certain nombre de productions : les bananes ne poussent pas très bien chez nous, bien qu’avec le réchauffement climatique ça va peut-être changer.

Plus sérieusement, au vu de l’importance du marché métropolitain, un nombre plus important de producteurs pourraient être intéressés par cette forme d’écoulement de leur production, même si elle comporte des limites.

En effet, intégrer une AMAP, c’est accepter qu’en plus du métier d’agriculteur, il faille aussi assurer celui de commerçant au détail ; ce qui implique de nombreux trajets à faibles volumes et l’activité de vente reste assez chronophage. La rationalisation d’un certain nombre de fonctions est limitée et, bien évidemment, la production des paysans en AMAP n’est pas destinée à être transformée de manière industrielle ; ce qui limite forcément la taille du marché.

Quoiqu’il en soit, agir sur la formation des prix est essentiel pour sortir le secteur agricole de la crise structurelle qui le secoue. Cela demande de changer profondément les orientations de la PAC, mais toutes les actions publiques en ce sens sont bonnes à prendre.

D’autant que la détermination des prix par l’aval de la filière n’est pas le seul écueil sur lequel se heurtent les exploitants, et notamment les jeunes agriculteurs qui cherchent à s’installer. L’accès au foncier est également un enjeu important et, bien souvent, un frein.

En ce sens, les fermes partagées présentent un modèle intéressant, en ce qu’elles permettent une déconnection de l’exploitation du capital foncier tout en permettant un travail collectif d’agriculteurs associés.

Ce modèle, que l’on retrouve dans le secteur industriel, permet la mutualisation des outils de travail -un peu à l’image des CUMA-, le partage des risques d’exploitation mais aussi une plus grande souplesse dans l’organisation du travail et un meilleur respect de la vie familiale. Cela contribue à redonner du sens à ce travail noble et indispensable à l’ensemble de la société.

Car la perte de sens est également un constat largement partagé, et qui a beaucoup été mise en avant durant le mouvement des agriculteurs. Le soutien et la solidarité des agriculteurs entre eux, que nous soutenons également dans cette délibération, sont un aspect particulièrement important en ces temps de crise de la profession.

La vidéo de l’intervention : https://youtu.be/kD0xSZelKiU?t=29481