La France craque, et la démocratie avec…

Intervention préalable -

M. le Conseiller MILLET : La France va mal. Nous sommes nombreux à être préoccupés des conditions de la vie publique dans une société qui se présentait comme un modèle, mais qui est de plus en plus regardée comme à bout de souffle, incapable non seulement d’ouvrir l’espoir d’une vie plus juste mais aussi incapable de se parler dans une démocratie écartelée entre marketing publicitaire des réseaux et actions violentes.

La société craque, des milliers d’individus craquent. La situation dramatique de la psychiatrie laisse des centaines de personnes en souffrance psychique sans accompagnement. Il suffit de rester quelques heures dans ce bâtiment côté rue du lac et observer la violence des rapports entre SDF installés sur le trottoir. Mais c’est le constat de tous les bailleurs sociaux pour qui les crises psychiques de locataires deviennent une préoccupation du quotidien. Jusqu’à ces dérapages de citoyens ordinaires dans des conflits a priori banals de la rue, des bagarres après un léger accrochage ou pour une place de stationnement, jusqu’à la terrible situation du maire de Saint-Brévin… Je ne cède pas aux dérives médiatiques qui font de chaque incident, à Bordeaux dernièrement, une leçon générale, mais il faut dire que notre société souffre.

Et comment ne pas voir le rapport avec l’état de nos services publics dans l’accueil et l’accompagnement. Les urgentistes et tous les soignants le disent depuis des années quand ils dénoncent la casse de l’hôpital public, qui fait des urgences le réceptacle de tous les maux de la société. D’ailleurs, notre Conseil devrait interpeler l’ARS pour la réouverture des urgences de Portes du Sud, de Givors, des lits d’urgence du Vinatier, … Je vous appelle tous à rejoindre l’action engagée par les quatre maires des communes voisines de l’hôpital Portes du Sud pour faire pression sur l’ARS et rompre, enfin, avec son programme de réduction de l’offre publique de soins pour respecter l’objectif national des dépenses maladie.

Et comment être surpris que ces tensions se retrouvent dans les actions sociales, quand notre régime politique peut imposer une réforme contre l’avis très largement majoritaire des salariés, des citoyens ! Et ce n’est pas propre à la réforme des retraites, ni à ce président ou ce gouvernement ! Droite et gauche gouvernementale ont clairement dit au peuple français que son avis ne comptait pas quand le « non » au référendum de 2005 a été violé par les gouvernements successifs, jusqu’à soumettre la France aux diktats de la Commission européenne. J’en reparlerai à propos de la ZFE.

Mais on retrouve cette crise démocratique dans le refus de consulter les citoyens de Pierre-Bénite et Oullins sur le projet de fusion de leurs communes. Nous appelons -au nom de la place des communes dans notre métropole, de leurs 59 maires que tant d’entre vous ont dit défendre mais que deux d’entre eux viennent de décider qu’ils ne seraient plus que 58- à l’organisation d’un référendum, qui était obligatoire il y a 20 ans -obligation supprimée par des réformes successives, dont la loi MAPTAM tant critiquée. C’est l’enjeu de la place des communes dans la métropole, sauf à considérer que l’avenir est au regroupement de communes à l’échelle des territoires de la métropole, du type arrondissements ou Villeurbanne.

Ce coup médiatique de deux maires -en écho à celui de deux présidents, il y a 10 ans, annonçant à leurs collègues médusés la création de la Métropole- illustre cette crise démocratique. Ce n’est pas avec un peuple ayant perdu sa citoyenneté qu’on fait une démocratie.

Ce déclin démocratique est au cœur des dérives individuelles ou collectives qui font désormais notre vie publique : désobéissance, désarmement, éco-sabotage, insurrection, ZAD, blacks blocs, … ce que montrent les violences dans Lyon, mercredi dernier en soirée, entre manifestants derrière une banderole anarchiste et bandes fascistes ou comme l’avaient montré les attaques contre la mairie du 1er ou du 4ème en marge de manifestation sociales, il y a quelques semaines. Des images qu’on retrouve un peu partout dans des manifestations, notamment environnementales. La fuite en avant du gouvernement interdisant un mouvement sans organisation ni responsable montre son incapacité à comprendre cette crise démocratique, et le vide du grand débat après la crise des Gilets jaunes.

Mais nous sommes dans la même situation quand une association ne peut pas inviter Salah Hamouri, Franco-palestinien que le président de la République lui-même avait tenté de faire sortir des prisons israéliennes ou il était détenu sans jugement, que nous avions reçu à Grigny, Givors et Vénissieux, il y a quelques années, sans aucun problème ni inquiétude de quiconque ! Comment interdire une rencontre organisée par une association dont les dirigeants sont bien connus et ne peuvent être soupçonnés de violence, au prétexte officiel que des extrémistes connus pourraient venir perturber cette rencontre. Un comble ! Ce sont les victimes supposées qui deviennent coupables aux yeux du Préfet ! C’est aussi illustratif de notre crise démocratique.

Et c’est dangereux parce que l’extrême-droite a pris une place grandissante en Israël comme dans tout l’Occident, de Trump à Duda et jusqu’en France, non seulement électoralement, mais avec des groupes violents qui se développent, dans les stades comme les centres urbains, des réseaux d’ultradroite dont le ministère de l’Intérieur lui-même dit craindre des actes terroristes.

Dans un tel contexte, l’opposition va jouer avec un vœu, en fin de séance, le jeu politicien de la division. Mais les républicains qui sont parmi vous -républicain au sens littéral, pas politicien- ne voient-ils pas que cette démarche même est illustrative du dramatique échec de notre démocratie ? De cette incapacité à organiser un débat public en vérité, dans l’objectif premier non pas de gains de notoriété ou électoraux, mais pour construire l’unité des citoyens la plus large pour agir efficacement ?

Cette situation intenable défait le tissu citoyen. J’ai eu de longues discussions avec des jeunes engagés dans des mouvements comme Extinction Rébellion et d’autres, tentant de les convaincre qu’ils confondaient les techniques et le système, que l’éco-sabotage visant à mettre en cause les autres pour leurs comportements était une impasse tant les inégalités sont au cœur de cette société, et que c’est cette société qu’il faut changer, pas les gens… vieux débat pour un marxiste… Mais l’absence de perspective politique progressiste, la récupération de tout discours environnemental par les grandes entreprises comme par les gouvernements rendent illisibles la nature de l’affrontement. Les communistes prendront toute leur responsabilité pour montrer l’enjeu premier, celui des luttes de classe et, donc, le chemin indispensable, celui de l’unité du peuple pour imposer sa souveraineté.

Le mouvement communiste a connu les dérives de la violence légitimée comme moyen d’action. Cela a conduit aux Brigades rouges, noyautées par les services d’État, la loge P2 et la CIA pour éliminer Aldo Moro. Lénine le dénonçait déjà après l’expérience de son frère anarchiste préparant un attentat contre le tsar et, bien évidemment, arrêté et exécuté. La violence pour l’action sociale est d’abord une source de division, une justification des répressions. Il y a toujours des mouvements de colère qui peuvent dégénérer, mais quand on travaille à unir les habitants des quartiers populaires, je peux vous assurer qu’on sait que la violence entre citoyens est une impasse.

Permettez-moi une conclusion optimiste en évoquant un évènement marquant du premier festival Jeunes de Vénissieux. Des groupes d’adolescents de nos équipements polyvalents jeunesse, après un travail sur l’éloquence, avaient organisé une soirée de performances dont un débat « pour ou contre le vote ». Deux jeunes de 17 ans avaient préparé une longue joute orale extraordinaire, qui devrait être diffusée largement.

Contre un qui défendait la nécessité d’aller voter, une jeune fille critiquait un droit de vote jugé inutile. Elle avait conclu ses interventions par une belle formule évoquant l’engagement des jeunes de quartier pour sortir de toute prédestination sociale : « plus la lutte est difficile, plus la victoire est belle ». Quelques jours plus tard, j’avais écouté le discours de victoire de la déléguée syndicale CGT des Vertbaudet, après une grève de deux mois qui avait permis de fortes augmentations de salaires et des embauches de précaires, et elle disait elle aussi : « plus la lutte est difficile, plus la victoire est belle ».

Voilà une conclusion qui, monsieur le Vice-Président à la politique de la ville, madame la Vice-Présidente à la participation citoyenne, pourrait être au cœur de notre prochain contrat de ville : l’engagement. Nous ne sortirons pas de la crise démocratique par une réforme institutionnelle mais par un puissant mouvement d’engagement populaire, fondé sur l’effort collectif pour se comprendre, partager et construire, loin des violences et de la haine de l’autre qu’on rencontre trop souvent… un mouvement pour une nouvelle citoyenneté qui ailler chercher aux sources des révolutions françaises une nouvelle République sociale…

La vidéo de l’intervention : https://youtu.be/vipD47obbQU?t=1562