M. le Conseiller MILLET : Monsieur le Président, mesdames, messieurs, comme dans beaucoup de grands dossiers métropolitains de ce type, il est difficile de séparer les actions concrètes s’appuyant sur les compétences métropolitaines, l’effort de visée stratégique à long terme et, aussi, le débat idéologique.
Vous l’aurez deviné, si nous soutiendrons certaines actions, nous critiquerons le discours stratégique en dénonçant l’idéologie qui le sous-tend. Nous sommes loin de la « posture consensuelle pour la Métropole ».
Le rapport dénonce le « modèle alimentaire actuel, productiviste, spécialisé et mondialisé » et son effet sur la santé mondiale. Ce discours, apparemment critique, porte un point de vue occidental sans caractériser ce que nous appellerons, nous, « une agro-industrie capitaliste ». Il oublie totalement l’existence de contre-modèles, que ce soit à Cuba ou en Chine, et, surtout, en évoquant une mortalité liée à la « malbouffe », qui dépasse aujourd’hui celle liée à la sous-nutrition, il délaisse le fait principal des dernières décennies : le recul majeur de la sous-nutrition.
En 1960, un Chinois consommait 1 400 calories alimentaires par jour ; un Français, 3 200. L’écart s’est réduit… la Chine Socialiste ayant sorti 1 milliard d’humains des famines endémiques, qui consomment 3 100 calories en 2016… la consommation des pays les plus riches, commençant à baisser à partir de la fin du siècle dernier… Oui, la malnutrition se réduit !
Je conseille la lecture du site « Gapminder » du professeur Suédois Hans Rosling et son test que vous raterez tous ou presque, j’en suis sûr, comme moi. Sa première question est simple : « Ces 20 dernières années, la proportion de la population mondiale vivant dans une extrême pauvreté… a doublé, est restée stable ou a été divisée par deux ? ». La bonne réponse est la troisième. Le fait dominant des dernières décennies est la sortie de la grande pauvreté, de la mortalité infantile, de la sous-nutrition et les progrès de l’éducation, notamment des filles.
Alors, avec ce mot « productivisme », de quoi parle-t-on ? L’anarchie du développement qu’impose le marché capitaliste produit, bien entendu, des aberrations -depuis les prix négatifs de l’électricité jusqu’aux destructions d’invendus agricoles-. Mais la balance commerciale agricole de la France est en baisse depuis 2013, pratiquement divisée par deux, parce que les importations sont en forte hausse alors que la production et les exportations stagnent.
Le mot « productivisme » est le cache-sexe du capitalisme. Il nous dit que ce qui est mauvais serait de produire et non pas quoi, comment, par qui, pour qui ? Il nous fait croire que ce sont l’industrie et les techniques le problème, et non pas les rapports sociaux et le système économique. Or, le capitalisme ne produit jamais pour produire mais, uniquement, pour le profit, sinon il détruit sans retenue. C’est un « profitivisme » ! Et c’est le cas de l’agriculture, avec les conséquences connues sur l’environnement et la santé, et où tout est permis -jusqu’à imaginer, comme l’évoque une étude récente, qu’une « viande de synthèse » puisse représenter 40 % du marché en 2050-.
Le rapport nous alerte : « L’Union européenne n’a plus assez de surfaces pour nourrir sa population. » Mais, sur toute la terre, la surface agricole utilisable régresse de plus de 10 millions d’hectares par an, malgré les déforestations, et ce pour deux raisons : le développement urbain et, surtout, la dégradation des sols ! En France, elle a régressé de 3,4 millions d’hectares et, partout en Europe, la forêt progresse rapidement, par désertification rurale.
Si le modèle actuel était « productiviste », il cultiverait ces terres abandonnées. Mais il ne le fait que quand la rentabilité est assurée, si besoin à coups de subventions, et quand elle n’est plus là, il délaisse les sols. Nous portons un projet de société loin du retour à l’individualisme d’un agriculteur local idéalisé, le projet d’une autre socialisation -celle des coopératives, du salariat, de la mutualisation, du service public ; celle où le besoin humain de qualité, de sécurité alimentaire et de santé publique est ce qui prime, ce qui oriente le développement-.
C’est pourquoi nous voulons assumer le débat avec nos concitoyens pour refuser le « localisme ». Le local est indispensable, mais les échanges aussi et permettez-moi d’aller chercher mon poulet de Bresse à plus de 50km, mon saucisson en Haute-Loire, ma côte de Salers dans le Cantal, mes abricots dans la Drôme, mon huile d’olive en Sicile. Nous voulons aussi refuser les discours de véritables intégristes qui nous demandent de nous serrer la ceinture pendant que le luxe bat tous les records. Pour résumer, contre la « malbouffe », nous défendons le droit à la bonne bouffe.
Venons-en au projet métropolitain. Il se heurte, comme pour l’énergie, à la réalité de la forte dépendance de l’agglomération avec son cadre régional, national et mondial. Seulement 4,6 % de l’alimentation consommée dans la métropole provient du territoire. Mais que faut-il en conclure ? Qu’il faille développer la production agricole orientée vers les besoins de l’agglomération ? Nous sommes d’accord ! Qu’il faille contraindre la consommation pour réduire les apports extérieurs, mais au nom de quoi ? Comme s’il fallait aller vers une autosuffisance alimentaire, comme certains le proposent avec inconscience pour l’énergie ! Pour nous, ce constat montre d’abord qu’il n’existe pas de stratégie alimentaire métropolitaine en dehors de la politique agricole nationale, et que personne ne peut cacher, derrière la métropole, ses choix politiques nationaux et européens.
Le rapport nous parle ensuite d’une « meilleure répartition de la chaîne de valeur (pour une juste rémunération des producteurs agricoles) en inventant des scènes de dialogue territorialement élargies ». J’avoue rester interrogatif devant cette formule de « scènes de dialogue »… Mais oublions ! Le fait est que « la chaîne de valeur » dépasse très largement la métropole et que, comme sur le plateau des Grandes Terres, la situation des agriculteurs ne peut se penser sans eux et quand ils nous disent que, pour eux, les Grandes Terres sont des terres à blé, il serait contre-productif de vouloir leur imposer de se transformer en maraîchers.
Pour nous, l’enjeu de la concertation reste devant nous et nous sommes interrogatifs devant l’avis du Conseil de développement de privilégier les jeunes, les personnes âgées et les quartiers populaires. Comment ces trois catégories sont-elles représentées au Conseil de développement ?
Alors, nous partageons les 11 objectifs et, notamment, celui de faire de la restauration collective publique une vitrine de la transition vers une alimentation durable. Nous étions déjà intervenus au sujet des conditions d’approvisionnements des cuisines centrales publiques qui se retrouvent en concurrence dans un marché local en tension. Nous souhaitons qu’un travail plus concret s’engage pour détailler ces objectifs en un Plan d’actions, comme nous l’avons pour les déchets.
La délibération nous propose surtout des outils supports de prochaines actions, avec la mise en place d’une plateforme de concertation, de groupes projets, d’échanges sur des sujets nouveaux, de soutien aux initiatives locales pour des habitants acteurs de leur santé alimentaire.
Mais, comme le plus souvent dans les grands dossiers métropolitains, monsieur le Président, pas de références aux Communes ! Le risque est de mettre en place une démarche centralisée et institutionnelle, sans lien avec les actions conduites par les Communes… Je pense aux cuisines municipales, qui devraient être le premier acteur à coordonner et mobiliser tant elles sont à la fois un outil de l’exemplarité mais aussi un des liens les plus forts avec la jeunesse, les familles et, donc, un excellent outil pédagogique support du débat public sur l’alimentation.
Au total, en l’attente de propositions plus concrètes et malgré nos critiques sur le contenu idéologique et stratégique de ce rapport, nous nous abstiendrons.
Je vous remercie.