Les déchets ne sont pas un mal !

N° 2017-1904 - Orientations stratégiques du Plan d'action économie circulaire, zéro gaspillage -

M. le Conseiller MILLET : Monsieur le Président, chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier Émeline Baume pour l’intitulé de cette délibération, pour la délibération aussi bien sûr, plus réaliste que l’appel à projets du Ministère. Car un territoire zéro déchet, c’est un territoire sans vie, tant la vie humaine, à commencer par la vie biologique, n’existe pas sans déchet ! D’ailleurs, la corrélation étroite entre mortalité infantile et assainissement public dans le monde montre l’impact de la gestion publique des déchets.

Je l’ai déjà dit dans notre Conseil, les déchets ne sont pas un mal. Il faut renverser l’échelle de valeur qui les fait considérer comme de l’ordure, mot négatif par essence, et les considérer au contraire comme une richesse, « un minerai urbain » disent certains. Le déchet, étymologiquement, c’est ce qu’on n’a pas utilisé d’une matière, pas parce que c’est sans valeur mais parce qu’on n’a pas su l’utiliser. Le bon slogan, c’est donc au contraire 100 % de déchets utiles !

Deuxième remarque, sur l’incinération : certes, la plus forte valorisation est d’abord de réduire le déchet à la source. C’est pourquoi les coûts de gestion des déchets doivent être financés par ceux qui les produisent, qui ont alors objectivement intérêt à les réduire. Ensuite, il faut favoriser la réutilisation, donc la réparation, puis la réutilisation des composants, la valorisation matière qui transforme par exemple des bouteilles de plastique en pulls. Mais l’incinération est aussi une valorisation et nous connaissons tous son importance pour assurer une réponse non carbonée et à très faible niveau de pollution pour le chauffage urbain. Donc oui à la formule « zéro gaspillage, 100 % de déchets utiles » !

Mais cette délibération ne concerne pas que les déchets, même si l’économie de la réutilisation, de la réparation et des filières de valorisation reste un défi à relever. Je rappelle que nous ne sommes pas arrivés à mettre en place une filière de valorisation des plastiques souples et pots de yaourt, malgré une expérience de deux ans à Villeurbanne.

Nous soutenons le développement d’une économie circulaire mais il y a plusieurs échelles de cercles dans cette économie : le très local, que permet par exemple le compostage de quartier ou l’atelier de réparation solidaire, le métropolitain mais aussi le plus global, avec ce qu’aurait permis par exemple le projet de Solvay de recyclage des terres rares dans les ampoules. Les anciens de la Vallée de la chimie décrivent une économie qui ne cesse de faire circuler les matières d’une activité à une autre. J’ai même entendu un chimiste parler d’une industrie incestueuse pour évoquer les échanges croisés multiples entre entreprises.

C’est pourquoi nous nous interrogeons sur le discours sur l’économie circulaire qui nous est présenté. Il faudrait sortir du modèle linéaire « produire, consommer, jeter », considéré comme un symbole du capitalisme alors que l’économie circulaire serait le symbole moderne d’une économie nouvelle.

Permettez-moi un peu d’histoire : en 105, le chinois Tsai Lun invente le principe de fabrication de papier à partir de vieux chiffons de lin. En 1031, le Japon commence la réutilisation des déchets de papier. La première usine de fabrication de papier recyclé ouvre en 1690 aux USA naissants. J’avais évoqué en janvier le recyclage, sujet à la mode au XIX° dans l’Angleterre victorienne de l’accumulation primitive. Et c’est le Préfet Eugène Poubelle, dont le décret de 1883 a rendu son nom célèbre, qui prévoyait -tout le monde l’a oublié- trois boîtes obligatoires : une pour les matières putrescibles, une pour les papiers et les chiffons et une dernière pour le verre, la faïence et les coquilles d’huîtres -ce devait être très parisien- car c’est ce qui permettait le recyclage.

En fait, si le capitalisme fait bien, dans un premier temps, des profits sur la consommation -c’est la marge commerciale- et sur la production -c’est le surtravail de Marx-, il ne nous avait pas attendus pour en faire aussi sur les déchets, tant il a toujours scruté toute ressource potentielle de profit. D’abord, en cherchant à augmenter les rendements physiques, donc réduire les pertes de matières. Un industriel de l’agroalimentaire est obnubilé par la valorisation matière ; dans une fromagerie industrielle, tout ce que contient le lait a été transformé, jusqu’à la récupération du nettoyage des machines, pour ne rejeter que de l’eau légèrement verdie. Dans ce cas, on est à 0 % de déchets. Ensuite, en cherchant aussi à valoriser les déchets quand le volume paraît justifier l’investissement pour les récupérer ; c’est ce que font depuis très longtemps les aciéries, par exemple, qui récupèrent des métaux dans la collecte de déchets métalliques et en font leur cuisine.

Bref, pour le système dominant, vive l’économie circulaire quand elle permet du profit ! C’est pourquoi, si nous partageons l’objectif d’expérimentations, nous serons attentifs à leur nature. Ce qui nous intéresse, c’est la meilleure utilisation globale des ressources, des matières et, pour cela, une réflexion sur cette écologie industrielle, qui est un oxymore pour certains et, pour nous, un renouvellement dans la planification des flux de biens et de services est nécessaire.

Nous attendons toujours des études sur la Vallée de la chimie, la réflexion d’ensemble sur les productions futures et leurs interactions ; il devait y avoir une analyse en 2017.

Les expériences devront prendre en compte les réalités sociales et notamment les inégalités, l’impact de la pauvreté et de la précarité sur les modes de consommation et d’accès aux services. On dit, par exemple, que le gaspillage alimentaire permettrait d’économiser 300 € par famille, sans faire de différence entre la consommation d’un foyer au RSA et d’un foyer qui dépasse dix SMIC de revenus ; on ne sait pas exactement où l’on est. De même, les études sur la tarification incitative et la redevance spéciale devront se faire en pour et en contre, identifiant les risques, les mésusages générés, les inégalités, les incivilités et leur contrôle.

M. LE PRÉSIDENT : Karl Marx a beaucoup écrit ; si vous faites tous les tomes, nous y sommes encore demain.

M. le Conseiller MILLET : Non, non… Enfin, nous demandons qu’une territorialisation des actions soit prise en compte et que les Communes puissent proposer des projets.

Je vous remercie.

M. LE PRÉSIDENT : Merci bien. Je vous inviterai un jour à rencontrer mon ami le Maire de Leipzig et il vous parlera du choc qu’a été la confrontation entre la production telle qu’elle était en Allemagne de l’est avant la chute du mur et la production occidentale. Cela a été un choc profond et il vous expliquera comment Leipzig, tout d’un coup, a été sinistré et comment aujourd’hui ils sont repartis de l’avant. Cela vous permettra peut-être de revisiter Karl Marx avec les temps contemporains.