M. le Conseiller MILLET : Monsieur le Président, chers collègues, l’état du mal-logement décrit dans le rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre devrait être la base de toute politique du logement, même si on peut discuter ensuite ses propositions. Je conseille donc à monsieur Girard, pour le changer de ses lubies anti-communistes, de se plonger dans la lecture de ce rapport. Il pourrait y vérifier tous les chiffres que j’utilise.
Je note d’ailleurs qu’à la présentation du rapport de la fondation Abbé Pierre, on peut lister les élus présents : Michel Le Faou est venu nous rejoindre -mais on va dire dans sa fonction de Vice-Président aussi- mais sinon, c’était les élus de ce côté de la salle ; je le précise, nous étions trois.
Nicolas Sarkozy était devenu Président dans une France qui construisait 450 000 logements par an. Il l’a laissée à 375 000 en 2012 et François Hollande la laissera à 338 400 en 2016. Les deux défendaient l’objectif de 500 000 logements. Ils ne l’ont pas fait.
Nicolas Sarkozy était devenu Président dans une France qui construisait 95 000 logements sociaux par an. Il l’a laissée à 100 000 en 2012 (un petit léger progrès) et François Hollande la laissera à 130 000 en 2016. Les deux affirmaient l’objectif de 150 000. Ils ne l’ont pas fait.
Il faut, de plus, tenir compte des logements qui sortent du parc… 12 000 à 20 000 par an par démolition, notamment dans la rénovation urbaine ; 10 à 20 000 pour être vendus. Résultat, le parc total ne progresse que de 70 à 80 000 par an ces dernières années. Résultat, sur les 500 000 attributions annuelles de logements, la plus grosse part concerne les mutations.
74 % des demandeurs -on n’a pas les mêmes chiffres, Béatrice- sont en dessous des plafonds PLAI. Or, il s’est construit moins de 30 000 PLAI en 2015, comme dans les deux mandats présidentiels précédents. Pire encore, 50 % du parc de logements PLAI -des logements les plus sociaux donc- ont pourtant des loyers supérieurs aux plafonds APL. Et c’est le cas de 82 % des PLUS. Ne parlons pas des PLS ! Il faut dire que les loyers, en général, augmentent plus vite que l’indice des prix, et pas qu’un peu puisque le loyer moyen a doublé entre 2000 et 2012. Le résultat est une catastrophe pour les locataires du privé dont le taux d’effort moyen dépasse 30 %, quand celui des accédants n’est que de 15 % et celui des propriétaires anciens d’un peu plus de 5 %. Mais ce taux d’effort a augmenté aussi pour les locataires du parc social.
En fait, le coût de la construction a presque doublé depuis 2000, passant de 80 000 € à 140 000 € par logement, la part de l’État s’effondrant de 4 000 € à 1 000 € par logement, contraignant les bailleurs à puiser dans leurs fonds propres et à s’endetter plus fortement. Vous pouvez constater qu’avec un financement total en baisse, le maintien de l’objectif de 4 000 logements implique de financer moins chaque logement.
Non seulement la multiplication des discours, des lois et des décrets n’a pas réduit le mal-logement mais tous les indicateurs se sont aggravés. Bien entendu, d’abord, parce que la pauvreté a progressé et, donc, la demande de logement social. Le rythme de construction n’a jamais atteint les promesses de 150 000 nécessaires. Le financement par l’État de l’aide à la pierre est à l’opposé des promesses : en forte baisse, quasi zéro en charge nette pour l’État, selon beaucoup d’études.
Non seulement le logement n’a pas été une priorité politique mais l’effort public en faveur du logement a diminué en poids dans le PIB (Produit intérieur brut), passant de 2 % en 2009 à 1,79 % en 2016, en sachant que, face aux 40 milliards d’euros de dépenses pour le logement, il y a 60 milliards d’euros de recettes. Les politiques réelles, loin des discours, ont continué à favoriser la rente foncière. Les dépenses de défiscalisation pour l’accession dépassent 2 milliards d’euros par an avec les dispositifs Duflot, Pinel et consorts tournés vers les couches aisées. La fiscalité du patrimoine immobilier, bien moins taxé que le patrimoine productif, aggrave une fracture entre couches sociales : les 50 % les plus aisés possédant 80 % du patrimoine et les revenus des successions ayant retrouvé pratiquement leur niveau du XIX° siècle. Vive la modernité !
Les aides sociales, pourtant en hausse, ne permettent pas de sortir les couches populaires de la paupérisation et les couches moyennes sont les perdantes, ne bénéficiant ni des aides sociales ni des aides fiscales et le discours promettant l’accession est un mensonge de plus. La part des propriétaires dans le premier quartile des revenus a fortement baissé depuis 1973, passant de 35 % à 15 %, alors que cette part augmentait fortement de 45 % à 65 % pour le quartile des plus aisés.
Alors, bien sûr, vous parlez, monsieur le Président, avec tant d’autres, de mixité sociale mais la société que vous défendez, « en marchant », est celle des inégalités structurelles et de l’incapacité des politiques publiques à les résorber. Les locataires du quart des plus bas revenus représentaient 12 % des locataires du parc social en 1973, avant le premier coup donné par Raymond Barre à l’aide à la pierre ; ils étaient 30 % en 1988, 40 % en 2006 et cela continue. Pourtant, les ménages prioritaires ont moins de chance d’obtenir un logement social que les autres. On veut nous faire croire que la cause serait dans les politiques d’attribution et, donc, qu’il faudrait renforcer les pouvoirs du Préfet ou de la Métropole mais la question centrale est celle du coût de la construction et, donc, d’une aide à la pierre massive et d’une politique foncière au niveau des besoins pour retrouver les loyers équivalents à ceux des constructions des années 70.
Bien sûr, nous voterons cette délibération qui permet de réaliser du logement social, insuffisamment et pas dans les conditions les meilleures, mais nous rappelons deux demandes fortes :
- Respecter le choix des Communes et leur histoire. L’équilibre social, populaire, culturel d’une ville, ce n’est pas un seuil et les fractures identitaires, les incivilités, les divisions se développent tout autant chez les propriétaires que chez les locataires. La baisse de la part du logement social dans une ville populaire pourrait se traduire par le développement du mal-logement dans le privé, du logement indigne ;
- Respecter le choix des habitants dans leur histoire territoriale. On peut choisir d’habiter Vénissieux parce qu’on s’y sent bien, pour la qualité de ses services publics, parce qu’on y connaît des amis, des relais ; ce qui doit nous guider, c’est la demande des habitants.
Nous voterons cette délibération, mais nous répétons qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une absence de volonté politique de résorber le mal-logement.