M. le Conseiller MILLET : Monsieur le Président, chers collègues, le rapport 2018 sur le mal-logement de la Fondation Abbé-Pierre sera présenté prochainement à Lyon. Il confirme, encore une fois, l’ampleur du mal-logement, le désengagement de l’État -malgré la rentabilité d’un secteur générant plus de recettes que de dépenses- et l’impact à la hausse sur l’effort demandé aux ménages pour se loger.
Pourtant, les discours institutionnels ne manquent pas ; les plans non plus, qui promettent de « construire plus et moins cher », « le logement d’abord », le « refus de toute sortie sèche » à la rue, l’attention aux « publics prioritaires », « l’équité territoriale des attributions », …
Mais les faits sont têtus : le mal-logement ne se résorbe pas, les files d’attente s’allongent -y compris pour les situations d’urgences-, les ségrégations territoriales se renforcent, …
Que fait le Gouvernement ?
Le Gouvernement communique beaucoup. Il avait promis le choc de l’offre et, devant la déconfiture de ses résultats, il accélère la privatisation du logement social en demandant à Action logement de faire appel à la spéculation boursière pour financer la construction. Il s’acharne à détruire un modèle du logement social qui faisait de la France un espace de protection des locataires, même si tous ceux qui en avaient besoin ne pouvaient être accueillis et même s’il était fragilisé par les tensions urbaines et sociales. Ce Gouvernement promet l’égalité et la solidarité mais organise la ségrégation, en séparant le logement des salariés solvables du logement pour les plus pauvres. Il organise le bradage du parc social avec l’objectif de vendre 40 000 logements sociaux par an, en continuant à les comptabiliser dans le seul SRU pendant 10 ans.
Dans un tel contexte, que fait la Métropole qui a pris, depuis 2015, la compétence logement ?
Elle met en œuvre les politiques publiques nationales en affirmant, elle aussi, des objectifs ambitieux pour le logement. Elle supplée même, pour une part, au désengagement de l’État dans l’aide à la pierre. Elle met en place, avec lenteur certes, les plans que la loi impose : Plan local d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées, Plan partenarial de gestion de la demande de logement social et d’information des demandeurs, convention d’équilibre territorial, … Elle répond avec succès à l’appel à manifestation d’intérêt pour le plan Logement d’abord.
Mais, quelle est la vérité des chiffres ?
Dans la métropole aussi, le mal-logement s’aggrave… 65 000 demandeurs en attente et une tension toujours plus forte de 6 demandes par logement disponible… La pression monte dans toutes les catégories de demandeurs : mutations pour sur ou sous-occupation ; mutations pour recherche de logement accessible ou adapté ; recherche de logements abordables pour des demandeurs aux ressources toujours plus limitées ; demandes de travailleurs pauvres déplacés au gré des offres d’emploi dans des systèmes de sous-traitance qui les privent du droit au 1 % et dégagent le donneur d’ordre de toute responsabilité ; demandes prioritaires dans toutes les situations d’urgences de la vie -séparations, accidents, difficultés psychiques, sociales et de santé, expulsions- ; demandes de sorties de foyers ou de résidences ; accueil des migrants et, notamment, des mineurs isolés ; demandes de familles qui n’en peuvent plus de bâtiments difficiles où le bailleur n’a plus les moyens de maîtriser les incivilités.
La vérité est que le système métropolitain ne répond pas aux besoins des habitants de nos Communes !
Les nombreux plans et actions médiatiques n’arrivent plus à masquer cette réalité sociale. Partout, les élus rencontrent des demandeurs plus nombreux, inquiets, mécontents, sous pression des urgences de leur vie, ne pouvant comprendre pourquoi -dans cette agglomération « attractive », riche, où des entreprises s’installent-, il est si difficile, et de plus en plus difficile, de trouver un hébergement, un logement. Et, pourtant, le premier bailleur d’Action logement dans la métropole annonce la vente de plus de 3 000 logements sociaux. Bien entendu, là où ils sont vendables, c’est-à-dire dans les quartiers où ils contribuent le plus à la mixité sociale !
Que fait la Métropole en 2019 ?
La « convention intercommunale d’attribution » que nous délibérons doit décider des règles d’attribution des logements sociaux dans toute la métropole. Mais aucune des mesures proposées ne fait l’objet d’une étude d’impact qui permettrait de répondre à la question clé et urgente : va-t-on, enfin, faire reculer les indicateurs du mal-logement ?
La question est simple : peut-on, en attribuant mieux, améliorer la réponse aux besoins des demandeurs ? Les données du bilan du plan partenarial de gestion de la demande sont peu encourageantes. Les demandeurs aux plus bas revenus ont moins de chance d’avoir un logement social dans l’ouest lyonnais (en moyenne 15 % des attributions), au nord et côté Isère (20 % des attributions) que dans le centre ou le sud (25 % des attributions) et, bien sûr, encore moins que dans l’est autour de Vaulx en Velin (26 %) et dans les portes du sud autour de Vénissieux (28 %). Les écarts sont encore plus importants au niveau des Communes ou des quartiers !
La règle proposée par la loi, et reprise par la Métropole, demande d’atteindre 25 % des attributions aux plus bas revenus dans tous les quartiers. Mais, sur les trois secteurs de l’ouest lyonnais (Val de Saône, ouest-nord, Val d’Yzeron) -qui représentent 7 % du parc et des attributions-, atteindre cet objectif représente, compte tenu du taux de rotation des locataires, 223 attributions par an seulement, soit moins de 1 % des demandeurs à bas revenus de la Métropole. Cela aurait un léger impact sur le petit parc social de ces Communes, mais n’aurait qu’un effet marginal sur l’équilibre métropolitain !
La Métropole cache, derrière ses « plans » et « conventions », le profond décalage entre les besoins réels et la politique nationale, qu’elle justifie dans sa mise en œuvre.
Il y a, bien sûr, des mesures utiles dans ces orientations mais, non, on ne renversera pas la tendance au mal-logement en « gérant » mieux les attributions, même si l’efficacité du service public est un réel enjeu et si les demandeurs ont besoin de plus de transparence et d’équité dans la gestion des demandes.
Des propositions pour une autre politique du logement métropolitaine.
Pour répondre à la demande telle qu’elle s’exprime, tout en accompagnant les transformations urbaines nécessaires pour sortir de la ségrégation territoriale, il faut une autre politique du logement. Ce qui, bien sûr, relève de politique nationale de construction et des loyers, mais la politique métropolitaine d’attribution doit en être une incitation :
- Il faut beaucoup plus d’attributions de logement abordable dans toutes les Communes et quartiers. Définissons un objectif quantitatif par territoire, qui assure une forte réduction des inégalités d’accès au logement dans la métropole.
- Cela suppose de fixer un objectif plus ambitieux que la loi pour l’accueil du premier quartile. Définissons un seuil entre 25 et 50 % selon la situation actuelle des locataires de chaque territoire, avec l’ambition de rapprocher la répartition des quartiles de revenu de chaque territoire.
- La faiblesse du parc social de certaines Communes impose de prendre en compte, dans cet objectif, le parc privé locatif et de fixer un objectif de conventionnement pour gagner rapidement un parc jouant un rôle social, qui pourra être pris en compte dans les objectifs d’attribution.
- Augmentons fortement les moyens du service d’accueil des demandeurs, afin d’assurer la meilleure adéquation entre la demande et le parc en passant beaucoup plus de temps avec les demandeurs.
- Augmentons fortement les moyens de l’accompagnement des locataires pour surmonter les difficultés sociales, familiales ou de santé qui pèsent sur la gestion des bailleurs.
- Enfin, demandons aux instances locales de l’habitat un travail partenarial précis sur les situations d’urgence, les publics prioritaires, les besoins d’accompagnement et l’interaction dans les deux sens entre logement et hébergement, pour assurer la transparence nécessaire au débat citoyen sur l’accueil des publics prioritaires.
C’est pourquoi, même si nous travaillerons sur des actions de ces orientations, nous nous abstiendrons sur cette délibération. Car, on ne peut seulement critiquer la politique nationale du logement et laisser croire que notre gestion locale pourra la compenser. C’est pourquoi j’appelle les élus qui ont critiqué, ce soir, la politique nationale du logement à se rencontrer pour faire vivre, dans la métropole de Lyon, un autre discours pour le logement social.