M. le Conseiller MILLET : Monsieur le Président, chers collègues, merci à tous ceux qui ont permis que cette délibération puisse être présentée à ce conseil, en séance publique, compte tenu de son importance. Ce contrat de ville est un renouvellement qui a pris du temps -des reports successifs, bousculé par l’agenda politique et social avec, notamment, les violences de l’été dernier, qui conduisaient certains à mettre en cause le principe même de la politique de la ville, parfois dans le mépris : « Donnez-leur des millions, et ils brûlent tout ! », confondant volontairement les émeutiers ou les trafiquants et la population des quartiers, parfois de manière plus posée, mais toujours avec l’idée que… la politique de la ville coûterait cher et serait inefficace, alors même qu’elle ne représente que 0,1 % des Crédits de paiement de l’État. 600 millions qui ne sont pas grand-chose dans les 164 milliards du déficit annuel de l’État !
Ce que savent tous les maires, élus et militants de villes populaires, toutes les associations engagées contre les inégalités, pour l’insertion, le développement culturel et sportif, pour l’accès aux droits, l’égalité entre les femmes et les hommes, contre le racisme et le communautarisme, c’est que les quartiers populaires sont le cœur de notre société inégale et violente, qu’y vivent les premiers de corvées, les métiers essentiels qu’on reconnaît en temps de crise, que la faiblesse de leurs revenus limitent leur accès aux services, aux équipements, aux vacances, aux loisirs et que donc, contrairement aux discours d’extrême-droite si fréquents, ils ne coûtent pas plus cher que les autres, au contraire ! Quand ceux qui font de l’optimisation fiscale dépensent beaucoup de temps et d’argent pour profiter de toutes les aides tout en contribuant le moins possible, les plus pauvres consomment peu, se déplacent peu, sortent peu en ville et, donc, consomment moins de services publics et, donc, moins d’argent public.
C’est ce que disent les études économiques, mais permettez-moi de l’illustrer simplement. Il y a sans doute dans cette salle des passionnés d’opéra, et ils ont raison, mais ils savent, je l’espère, qu’ils ne paient que 10 % du spectacle et consomment donc beaucoup d’argent public, 30 millions -la plus forte dépense pour la culture-, très loin des montants de la politique de la ville. Bien évidemment, les communistes n’opposeront jamais l’opéra et la politique de la ville, au contraire. L’opéra a des conventions avec des villes populaires ; il accueille des enfants des quartiers à la maîtrise, et nous proposons de développer ces partenariats qui peuvent, justement, être une contribution aux objectifs culturels de la politique de la ville. Nos quartiers ont droit au beau, à toutes les formes de cultures et l’opéra a été un art populaire !
Oui, donc, la politique de la ville est un outil essentiel pour venir compléter les politiques de droit commun, qui sont celles qui doivent faire reculer les inégalités -dont nous redisons qu’elles ne viennent pas des quartiers, encore moins de leurs habitants, mais bien de toute la société et, notamment, des entreprises, de l’organisation du travail, de sa rémunération avec le recul des statuts et des qualifications au profit de l’uberisation. C’est toute la société qui construit les inégalités que vivent les familles populaires ; ce sont les quartiers aisés qui font tout pour rejeter les demandeurs de logement du premier quartile, qui pétitionnent quand un maire a le courage de valider un permis de construire avec un peu de logement social ; ce sont les 300 000 cadres dirigeants de l’économie, aux revenus supérieurs à celui d’un député, qui organisent une concurrence poussant à la « smicardisation » de l’emploi. À l’inverse, les milieux populaires font preuve d’une incroyable créativité pour résister au chacun pour soi et faire vivre des solidarités indispensables malgré les incivilités, pour permettre à la jeunesse des quartiers de réussir et créer dans les cursus scolaires, la recherche, la santé, le sport et la culture… et même les institutions… et même la préfecture !
C’est le cadre de ce contrat de ville qui a fait l’objet d’un long et riche travail de concertation et que nous voterons, bien sûr, en insistant d’abord sur la nécessaire mobilisation de tout le droit commun, au contraire d’un long désengagement des grandes administrations, et, ensuite, sur deux aspects transversaux :
– La nécessaire prise en compte du vieillissement qui marque des quartiers, pour le logement, la santé, la solidarité, avec le risque d’isolement et de repli sur soi des plus fragiles.
– L’égalité femmes-hommes, notamment pour lever les freins à l’orientation scolaire des jeunes filles, diversifier les loisirs.
Sur le premier enjeu de services mieux connus, nous insistons pour la présence physique de tous les services publics, condition concrète de l’accès aux droits. La dématérialisation ne doit pas être le prétexte au recul des services publics en demandant, ensuite, aux communes et à la politique de la ville de compenser la perte d’accès aux droits. Nous demandons d’avoir un indicateur suivi du nombre d’emplois d’accueil et d’accès aux droits dans les quartiers.
Sur le deuxième enjeu de quartiers plus sûrs, il faut faire plus par l’engagement et la coordination de tous les acteurs, bien entendu des moyens de justice et de police, mais aussi de financement des aménagements de prévention situationnelle pour éloigner les trafics des allées, des chemins des écoles, faire reculer les addictions et ne laisser aucun adolescent en rupture aux mains des réseaux.
Sur le troisième enjeu de l’emploi, un enjeu primordial qui conditionne tout, on ne peut que constater le mépris que porte le discours autosatisfait de ceux qui disent qu’il suffit de traverser la rue. Nous connaissons la réalité des freins qui font que des habitants ne se considèrent pas comme légitime pour espérer un vrai emploi, qu’il faut donc multiplier les actions diversifiées et de proximité sur les questions de langue, de mobilité, de garde d’enfants et, plus globalement, de représentations des métiers et des entreprises.
J’en profite pour porter l’inquiétude des organismes de formation qui attendent toujours que la Région se décide à financer leurs actions avec France Travail. Il y a des dizaines d’emplois de formateurs et des milliers de bénéficiaires en attente.
Pour le quatrième enjeu de l’éducation, nous insistons sur les postes de personnels médicaux, psychologues, assistante sociale dans les établissements, l’urgence d’un grand programme de prévention des addictions tout au long de la scolarité. Il y a beaucoup à faire pour des établissements inclusifs, avec l’enjeu parfois de situation d’échec de l’inclusion où il faut plus accompagner les acteurs et proposer des solutions différentes.
Enfin, pour le cinquième enjeu de l’environnement, concernant l’alimentation, premier enjeu évoqué par les habitants le plus souvent, il nous faut réfléchir pour passer à l’échelle d’un droit pour tous, passer des expérimentations en petit nombre à une réponse publique de masse. Concernant la mobilité, nous demandons d’avancer verse la territorialisation des agences de mobilité et une réflexion sur la tarification des trajets courts, pour aller sur le marché ou à l’équipement public du quartier.
Merci encore à tous ceux qui ont permis d’aboutir à un document qui peut être incitatif à l’innovation, au débat, à la mobilisation de tous les acteurs de la politique de la ville, qu’il faudra suivre, bien sûr, et nous serons attentifs aux formes de participation qui seront proposées. Rien n’a été tranché, nationalement, sur le devenir des conseils citoyens et, si on ne peut que constater leurs limites et difficultés, il reste que l’enjeu de la participation reste fondamental. Si la rénovation urbaine a marqué des points, transformé de nombreux quartiers -pas tous cependant-, il reste que la rénovation sociale reste un immense chantier pour lequel les forces vives sont d’abord les habitants.
Je vous remercie.
La vidéo de l’intervention : https://youtu.be/kD0xSZelKiU?t=11661