M. le Conseiller P-A. Millet : Tout d’abord -et la multiplication des groupes politiques de notre assemblée (11, pour cette séance) est un signe de plus de la crise politique, mais il n’y a qu’une seule intervention communiste-, remercions Bruno Bernard d’avoir accepté ce temps d’introduction… Un moment politique utile dans cette crise démocratique et ses dérives populistes qui fracturent notre société, crise qui conduit à de terribles cécités politiques dans une cinquième République perturbée qui perd son sauveur suprême. Pendant qu’on cherche encore un gouvernement, l’urgence climatique est reléguée à l’arrière-plan tout comme la désindustrialisation, malgré tous les discours officiels, et la crise sociale qui va avec, jusqu’à l’horreur à Mayotte, tout comme le basculement d’un monde qui s’extirpe douloureusement d’une domination occidentale coloniale.
Marc Grivel me reprochera de faire trop de politique, mais il se laisse entraîner par ce temps politique. Sa dernière intervention évoquait les élections européennes, et demandait au président de se consacrer aux questions « locales », les citant : précarité, insécurité, coût de l’énergie, manque de professeurs, mur de l’investissement pour l’isolation, raréfaction de l’eau, adaptation au changement climatique, cohésion sociale, … Ce sont vos mots, cher Marc, mais ces questions sont autant locales que nationales, voire mondiales. Il n’est pas de réponses pragmatiques et concrètes, sans… prendre parti !
D’ailleurs, le groupe Synergies -qui traverse la Saône, le Rhône et même le périphérique- n’est plus une expression locale de l’ouest lyonnais, mais devient une réponse politique à la crise de la droite -sous pression de l’extrême droite, qui taraude les maires d’Écully et Décines.
Oui, la crise profonde de notre société exige de prendre parti… pas dans l’idéologie, pas dans les discours, non, dans le concret et cela exige de faire des choix. Il y a longtemps, nous avions une certaine autonomie locale, de la fiscalité, des marges de manœuvres ; même le patronat pouvait accepter des mesures sociales d’ampleur… création des ASSEDIC, forte augmentation du SMIC, moyens consacrés au logement social, dépenses d’éducation. Mais les crises répétées du capitalisme, livré à lui-même après la chute de l’URSS, l’ont en quelque sorte mis à l’os, révélant sa vraie nature -la guerre de tous contre tous. Les écarts de revenus entre les premiers de corvées et ceux qu’il faut appeler des « oligarques », de Bernard Arnaud à Elon Musk, nous ramènent aux inégalités pré-républicaines des seigneurs et des serfs.
Alors, quel rôle local pouvons-nous avoir si nous ne portons pas de choix politiques ? On parle, parfois, de « bouclier social ». Michèle Picard a raison de parler, plus modestement, « d’amortisseur social », car nous n’empêchons pas la crise de frapper nos concitoyens. Fabien Roussel, ce dimanche à la Conférence nationale du PCF, évoquait le risque d’un plan social massif, conséquence d’un budget national récessif, dans les collectivités, les associations, les bénéficiaires de marchés publics.
Et la désindustrialisation s’accélère… Jtech, Arkema, Bosch, Renault trucks, Syensqo, Bayer, Merk, Logiplast, Cotelle, Bonduelle, Valeo, Vencorex… sans oublier la distribution… Casino, Carrefour, Auchan… Ne nous faites pas croire que leurs difficultés viennent des services publics ! Non, elles viennent d’une récession en Europe qui paie le choix de la guerre et de la soumission aux États-Unis, l’affaiblissement de l’Allemagne -pour lequel je vous conseille, sur mon blog, un billet plein d’humour d’un journaliste russe sur la fin du gaz russe. Le capitalisme, incapable de développement, est devenu un jeu à somme nulle… pour que certains gagnent, il faut que d’autres perdent. Les USA veulent gagner, donc l’Europe doit perdre. C’est pourquoi les gouvernements successifs, incapables de penser la souveraineté de la France, nous mentent sur la réindustrialisation. Jamais ils n’interviennent sur le fond… les incroyables prélèvements des plus riches sur l’économie et la faiblesse des investissements privés malgré les milliards de soutien public !
Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron ont creusé une dette qui semble faramineuse… 3 100 milliards, à situer relativement au patrimoine financier des français ; 6 200 milliards, au patrimoine total ; 12 000 milliards hors patrimoine public. Ce patrimoine privé est très inégalement réparti… le premier tiers des revenus en possède 1 % quand le dernier tiers en possède les trois-quarts. Comment a-t-il été possible de justifier la fin de l’Impôt sur la fortune ! Les dividendes aux actionnaires battent chaque année un record… 70 milliards, en 2023. Non, la dette ne vient pas des collectivités locales ni des dépenses sociales, mais de l’inefficacité des actionnaires, de leur incapacité à développer la France, de leur surdité aux enjeux de longs termes -obsédés par leurs indices quotidiens-, de leur incompétence à répondre aux immenses besoins d’emplois, de services, d’innovation. Oui, c’est la grande bourgeoisie qui est périmée !
Et toujours, dans le fatras du monde, les guerres qui continuent. La Syrie bombardée par Israël, avec la Turquie et Al-Qaïda, pendant que Gaza meurt. Quelle place les turcs laisseront aux kurdes dans le nord ? À n’y rien comprendre ! Tout peut finir comme en Lybie, les USA continuant d’exploiter le pétrole à Deir Ez-Zor.
Et sans écho dans nos médias, la puissante organisation d’action politique conservatrice US -la CPAC- organise une internationale d’extrême droite avec Milei, Orban, Bolsonaro, Meloni, Elsa Trump, Banon… poussant à valoriser la brutalité de Milei contre les dépenses publiques… Milei, qui appelle à la création officielle d’une internationale brune : « Il est de notre devoir moral de défendre l’héritage de notre civilisation occidentale. L’Occident est en danger, (…) Nous pourrions nous appeler une internationale de droite, un réseau d’entraide composé de tous ceux qui s’intéressent à la diffusion des idées de liberté dans le monde ». Dans ce type de discours, la liberté, c’est celle des loups ! Et on peut s’inquiéter des liens entre les fascismes de toutes natures rassemblés par Milei et Trump -y compris des djihadistes, quand on apprend que l’assassin de Samuel Paty était en contact avec le HTS, qui vient de prendre le pouvoir en Syrie.
Il faut prendre la crise démocratique occidentale au sérieux comme un moment de rupture. Quand le président français ne peut plus tenir compte des résultats d’une élection, qu’un parlement divisé se perd en polémiques, l’Union Européenne fait comme si elle avait tous les droits. Elle vient de se doter d’un « Commissaire au logement »… logement, qui n’est pas de sa compétence. Cette gouvernance sans démocratie peut tout, y compris en terminer avec la démocratie.
Tous les « modèles » de cette démocratie occidentale donnant des leçons au monde sont dépassés. L’allemand consensuel bousculé par l’impasse de sa transition énergétique et par la poussée de l’extrême droite, qui ravive de terribles souvenirs ; le présidentialisme US, pourri de populismes vulgaires et de débauches marketing ; le français républicain délaissé par des citoyens désabusés…
Oui, Einstein avait raison : « L’anarchie économique de la société capitaliste, telle qu’elle existe aujourd’hui, est, à mon avis, la source réelle du mal. Je suis convaincu qu’il n’y a qu’un seul moyen d’éliminer ces maux graves, à savoir, l’établissement d’une économie socialiste, accompagnée d’un système d’éducation orienté vers des buts sociaux. »
Mais il faut rappeler la formule de Lénine : « Une situation prérévolutionnaire éclate lorsque ceux d’en haut ne peuvent plus, et que ceux d’en bas ne veulent plus ». Certes, ceux d’en haut ne peuvent plus autrement que par la guerre et le fascisme, mais ceux d’en bas restent profondément divisés par le racisme, la concurrence, la crise d’une gauche affaiblie et divisée. Lénine précise, ceux d’en bas ne veulent plus quand on constate une « rapide élévation au décuple, ou même au centuple, du nombre des hommes aptes à la lutte politique parmi les travailleurs ». Nous en sommes loin.
C’est pourquoi je veux redire à mes amis socialistes et insoumis… cessons les guerres de chefs, les polémiques préélectorales. L’urgence est de surmonter les divisions de notre peuple pour faire reculer l’extrême droite, dont, je le répète, le risque est bien présent dans notre métropole. Nous avons besoin de solidarité, de concret, d’unité pour surmonter ce qui divise et permettez-moi de conclure sur le lien entre ces destructions d’emploi et les destructions du tissu social avec les squats, le mal-logement, les enfants à la rue, l’errance et la santé mentale.
Vénissieux vient de réaliser une grande consultation citoyenne sur les incivilités, la sécurité et la prévention… un évènement, avec 8 000 participants… plus qu’une participation électorale. Permettez-moi d’en dévoiler une réponse populaire. Face à ces urgences, les Vénissians demandent à la fois de la prévention et de la sanction, et ils placent la prévention au premier plan. Oui, nous pouvons avoir de larges majorités sur des actes concrets pour l’accueil des mineurs, l’enfance en danger ou l’hébergement des malades psychiques… en reprenant les mots du ministre de l’Intérieur -si, si, monsieur Retailleau- dont je dénonce la proximité politique avec l’extrême droite mais qui, devant le drame à Mayotte, a dit ce dimanche : « Il faut sauver des vies humaines, les héberger, qu’elles soient régulières ou irrégulières ». Madame Fautra, Monsieur Michel, pouvez-vous vraiment dire le contraire ?
Je vous remercie.
La vidéo de l’intervention : https://youtu.be/mWHIqf4KziE?t=3122