M. le Conseiller MILLET : Monsieur le Président, chers collègues, permettez-moi de prendre un peu de recul sur les nombreuses actions évoquées dans ce rapport, dont nous nous félicitons et qui nous poussent à penser la Métropole dans le long terme, en ces temps de débats incertains sur l’avenir de la France, d’inquiétudes sur l’avenir de la planète, de la paix.
« I had a dream… » (brouhaha). Je le dis en anglais parce que je ne vois pas pourquoi l’anglais ne serait utilisé que dans les néologismes du marketing territorial et numérique ; l’anglais est aussi une langue littéraire et rien qu’avec ces mots, vous avez tous pensé au même discours célèbre en anglais.
J’ai donc rêvé d’une autre agglomération lyonnaise.
J’ai rêvé d’une agglomération apaisée, libérée des trafics de transit routier et marchandises, dans une France libérée des exigences du court-termisme, équilibrant le coût du stock et du transport pour mettre l’essentiel du trafic marchandises sur le rail.
J’ai rêvé d’une agglomération réconciliée entre est et ouest, cessant enfin son étalement urbain vers l’est, inventant une nouvelle densification urbaine respectueuse de son histoire à l’ouest et préservant vraiment sa trame verte et ses quartiers à faible densité à l’est.
J’ai rêvé d’une agglomération trouvant le chemin de sa réindustrialisation en inventant un nouvel équilibre entre logement, emploi, commerces et transport dans tous ses quartiers, en valorisant ses savoir-faire humains dans un nouveau modèle économique coopératif faisant pièce aux experts de la « spécialisation compétitive » dans cette concurrence « libre et non faussée ».
J’ai rêvé d’une agglomération fière de ses Communes, de leur diversité et de leur vie démocratique et culturelle, fière de leur histoire et -même si le jeu de mots est joli- cessant de croire qu’il n’est qu’Only Lyon.
J’ai rêvé d’une agglomération au cœur de sa région, dans l’équilibre et la coopération avec ses grandes voisines régionales, offrant des accès rails cadencés et de qualité avec tous ses voisins pour sortir enfin de la fracture périphérique.
J’ai rêvé d’une agglomération qui mette un frein au creusement des inégalités, par le haut en combattant l’arrogance de la richesse, par le bas en organisant les droits de tous pour faire reculer pauvreté et exclusion.
Oui, j’ai rêvé d’une autre agglomération lyonnaise, bien loin de cette principauté de Monaco à qui vous venez de rendre hommage ce 8 décembre.
Mais les Communistes ne sont pas des rêveurs et c’est pourquoi, avec d’autres, je cherche chaque occasion de faire avancer un dossier dans le contexte institutionnel, politique et économique qui n’est vraiment pas favorable à ce rêve. C’est pourquoi je cherche des liens avec tous, quelles que soient leurs approches politiques, pour mieux comprendre, mieux être utile ; et c’est ce que nous faisons pour la plupart sur les nombreuses actions évoquées dans ce rapport annuel du développement durable.
Mais je cherche aussi inlassablement ce qui fera bouger ce contexte politique, ce qui fera émerger des forces nouvelles, populaires, progressistes, indépendantes de ce système et de son incroyable résilience, de l’incroyable inertie de sa logique qui se reproduit dans chaque rupture, qui sait que tout change pour que rien ne change, qui sait au fond que la seule chose durable c’est la règle de la concurrence au cœur de ce système, autrement dit la loi du plus fort.
Car, pour les Communistes, l’utopie est vitale, la certitude que l’homme n’est pas fait pour cette guerre de tous contre tous qu’est le capitalisme, une utopie qui est l’opium du militant, le soupir du révolté opprimé -pour paraphraser une formule célèbre- mais une utopie qui s’enracine dans l’exigence scientifique de comprendre le monde pour le transformer, une exigence très concrète et pragmatique qui regarde toujours le réel tel qu’il est.
Et le réel, ce sont ces luttes de classes dont Marx montre qu’elles sont le vrai moteur de l’Histoire. C’est un mot qui choque -surtout en face-. Mais vous savez, ce n’est finalement qu’ajouter aux intérêts économiques et sociaux, que tout le monde connaît et reconnaît, l’idée que ces intérêts s’organisent en couches sociales et leur donne une existence historique dont les plus avancés prennent conscience, ce que fait le grand spéculateur Warren Buffet qui nous dit : « La guerre de classe existe, c’est un fait, et c’est ma classe, celle des riches, qui la mène et qui est en train de la gagner ».
En quelque sorte, les riches savent que pour rester riche, il faut être dur avec les pauvres et leur faire de temps en temps la charité. Au contraire, trop de pauvres croient que, pour ne pas rester pauvres, il faut être gentil avec les riches. Jusqu’à ce que la colère monte, que la solidarité avec les « arracheurs de chemise » submerge l’inconscient populaire et se tourne contre ceux qui rient des « sans-dents ».
Sans ce lien entre le concret et l’utopie d’une autre société, le développement durable n’est qu’une réforme comme une autre. C’est ce lien qui fait l’originalité et la force du courant révolutionnaire et c’est son absence qui fait du courant réformiste un conservatisme de fait. Car les réformes les plus vertueuses, les plus durables, ne sont rien quand elles s’inscrivent dans un système qui digère toujours le nouveau pour se perpétuer lui-même ; et le capitalisme vert et ses lobbies économiques nous le montrent. Une réforme qui ne fait pas grandir l’utopie révolutionnaire n’est pas une réforme ; c’est au mieux un coup d’épée dans l’eau, au pire une trahison.
Oui, j’ai rêvé d’une autre agglomération, d’un autre monde, d’un autre développement (brouhaha dans la salle) durable certes mais surtout tourné vers la libération humaine, la sortie de cette préhistoire de la guerre de tous contre tous. Vous le savez, dans révolution, il y a rêve et évolution, autrement dit l’utopie et l’action. C’est ce qui manque à ce rapport : l’utopie du changement de société.
Je vous remercie.