Monsieur le Président, chers collègues, ce premier Débat d’orientations budgétaires se déroule dans le contexte incertain et bousculé de la crise sanitaire économique et sociale. Le défi est d’autant plus grand pour faire le lien entre l’urgence et notre vision d’une autre métropole, dans un premier débat budgétaire d’un nouveau mandat issu d’une élection elle-même pleine d’incertitude.
Nous avons été élus dans un contexte d’abstention massive sur l’exigence de changer la métropole, en prenant de front les questions écologiques et sociales. Sur les déplacements, le logement, l’éducation, le développement, nous devons réussir, malgré les contraintes, à renforcer les services publics urbains qui sont le cœur du quotidien des habitants -voirie, collecte, propreté, réseaux- et à marquer une rupture sur la conception du développement métropolitain mettant l’accent sur la vie concrète des habitants, la solidarité et le vivre ensemble plutôt que sur l’attractivité économique mondiale dans la concurrence des métropoles.
La crise nous impose des dépenses nouvelles et a réduit nos recettes, créant beaucoup d’incertitudes. Le risque est que cela nous pousse à rester dans la continuité des politiques précédentes dans de nombreux domaines, à nous contenter du plus facile et du plus visible, en délaissant la majorité des abstentionnistes et leurs attentes les plus fortes sur une véritable rupture avec une métropole des inégalités.
Cela concerne, d’abord, notre ambition d’investissement à l’échelle du mandat. Nous comprenons que le budget 2021 soit contraint par la crise, mais nous souhaitons au plus vite engager une réflexion de fond sur le modèle économique de notre budget, l’impact de nos politiques publiques sur l’activité, donc sur la fiscalité des entreprises, d’un côté et sur les dépenses sociales, de l’autre. Chaque millier d’emplois induits par nos politiques fait reculer les inégalités et, donc, les dépenses sociales induites.
L’ensemble de nos engagements nécessite une franche augmentation de l’investissement, comme sa réorientation vers nos priorités politiques. Nous souhaitons que l’année 2021 soit une année de débats démocratiques, d’études pour faire évoluer le modèle de budget d’année en année dans ce mandat. Certes, la crise a fragilisé de nombreuses entreprises et de nombreux ménages. Mais il y a aussi des gagnants, dans les entreprises, dont certaines voient leur chiffre d’affaires en forte augmentation, et dans des ménages, dont beaucoup battent des records d’épargne. L’épargne en action des ménages a bondi, en 2020, de 150 milliards d’euro ; le ministre des Finances annonce 460 milliards mobilisés pour les entreprises. Nous devons réfléchir à la fiscalité locale, notamment au taux de CFE demain et à la taxe d’aménagement. Et, tant qu’à imaginer des modes de financement par obligations, pourquoi ne pas faire appel à l’épargne volontaire des plus aisés de nos citoyens dans un financement participatif ? Si la crise bouscule notre budget, il ne faut pas oublier la tendance historique à une forte hausse de l’autofinancement et chercher les moyens de le retrouver dans le mandat. Nous souhaitons un groupe de travail de prospective budgétaire en 2021.
Cela concerne, ensuite, les grandes priorités qui, pour nous, ne peuvent se résumer dans le titre « Une Métropole résolument tournée vers la transition écologique ». L’introduction est plus utile en affirmant trois principes : les biens communs, le prendre soin et le partenariat avec les collectivités locales et les habitants, avant les acteurs de l’économie. Car il est tout autant irresponsable d’opposer « écologie » et « social » que de réduire l’un à l’autre, et réciproquement. J’aime citer Marx, dans cette assemblée, pour provoquer quelques réactions. Il avait bien raison d’affirmer que le capitalisme épuise la terre et le travailleur : ce sont les deux seules ressources réelles que le capital domine et c’est au travail de renverser le capital pour construire un rapport durable à la nature. Introduire prioritairement, dans le rapport, la ZFE et un objectif de réduction des déchets que nous n’avons pas discuté ne fait pas entendre notre ambition de rupture avec la gestion précédente.
C’est pourquoi nous voulons évoquer des priorités compréhensibles par les citoyens :
– Premièrement, garantir le bon fonctionnement des services publics métropolitains essentiels (voirie, collecte, collèges, troisième âge, …). La majorité précédente avait fait le choix d’un niveau de dépenses de maintenance insuffisant. Le plus criant est la situation inacceptable des collèges, mais c’est aussi le cas pour la voirie, dont les services mesurent la dégradation moyenne chaque année, ou pour les déplacements, pour lesquels le PDU actuel a un siècle de retard. La métropole ne répondait pas, non plus, aux besoins d’emplois des missions sociales : les MDM sont débordées et ne peuvent jouer leur rôle face à la crise.
– Deuxièmement, prioriser les projets tournés vers les conditions de vie des habitants avant les grands projets pour l’attractivité mondiale. Le TOP est derrière nous, mais les 150 000 voitures sur Bonnevay sont toujours là ! Il faut repenser un projet Part-Dieu qui ne soit plus La Défense à la lyonnaise, mais il faut aussi une nouvelle gare répondant aux besoins de développement massif du rail passager, coordonnée avec des gares périphériques comme avec la gare Saint-Exupéry. Nous ne pensons pas que le réseau de transport métropolitain soit bien structuré, au contraire. Pour libérer la métropole d’une mobilité carbonée contrainte, comme le propose le rapport, il faut une rupture avec le PDU actuel et si le vélo doit y jouer un rôle décisif -non seulement dans sa part modale mais aussi dans le rapport citoyen à la mobilité, donc à la ville-, il ne pourra permettre seul de réduire notablement la part modale de la voiture. La métropole a besoin d’un RER, de nouvelles lignes de métro, de nouvelles lignes de tram, de plus de bus et d’inventer une mobilité flexible, à la demande, décarbonée, sur le modèle du projet de taxi-bus électrique collectif imaginé par notre ancien collègue Henri Thivillier.
– Troisièmement, orienter le développement économique vers l’utilité publique, autant en termes de constructions de savoir-faire, de collectifs de travail, qu’en termes de réponses aux besoins individuels et collectifs, de la mobilité au logement, de l’alimentaire à la culture. Il faut sortir de cette culture économique de la destruction créatrice que défendait Gérard Collomb et construire, au contraire, un lien étroit entre les savoir-faire et l’innovation, les usages et la recherche. Notre potentiel universitaire doit être libéré du carcan d’un pilotage par l’aval au seul service de la concurrence libre et non faussée et être mis en réseau avec toute la société, autant pour faire grandir l’appropriation citoyenne des sciences que pour faire grandir la responsabilité citoyenne des scientifiques. Au final, l’emploi local doit être le critère principal d’évaluation de nos politiques économiques.
Permettez-nous enfin de commenter quelques orientations proposées dans ce rapport.
Sur le paragraphe A2 concernant l’énergie et le climat, il n’est pas fait mention du critère, pour nous, essentiel de l’impact carbone des politiques publiques. Ce devrait être le critère premier de nos décisions, alors que le développement accéléré d’un photovoltaïque sans stockage ni autoconsommation conduit à une hausse des émissions carbonées.
Sur le logement (B2), il faut mieux tenir compte de la grave crise du mal-logement, notamment pour les bas revenus. Nous alertons sur l’enjeu de l’eau pour la végétation en ville (B3), qui nécessite une politique de stockage pour aider la végétation malgré le réchauffement. Sur les déchets (B4), attention aux annonces médiatiques coupées des réalités : le dernier plan métropolitain de réduction des déchets fixait l’objectif de 10 % de réduction pour arriver péniblement à 6 % au bout de dix ans… L’excellent plan d’actions, engagé par Émeline Baume il y a deux ans, peut être renforcé, mais nous savons tous que l’expression « zéro déchet » relève du médiatique et que les enjeux citoyens, d’incivilités sont des défis alors que nous agissons principalement en aval de la consommation. Dans ce contexte, réduire l’incinération de 50 % sans compensation met en cause la capacité du chauffage urbain et conduira à une hausse des émissions carbonées. C’est un bon exemple du diable qui se cache derrière les bonnes intentions.
Sur le chapitre C et la lutte contre la pauvreté, il ne faut pas la réduire à des politiques ciblées… sur les migrants, les jeunes, les vieux ou les handicapés… L’enjeu premier de la pauvreté est le travailleur pauvre, le chômage et la précarité. De ce point de vue, la seule action des territoires « zéro chômeur » ne peut suffire.
Enfin, sur les partenariats (D), il faut ouvrir le débat sur l’articulation des compétences entre métropole et commune, un mot absent du Pacte de cohérence alors qu’il en est le cœur, selon la loi. Nous soutenons la remise en cause d’une économie centrée sur la mondialisation oubliant le territoire et les habitants, mais nous pensons que l’économie restera un échange avec d’autres. Or, la domination de multinationales sur des secteurs clés comme l’énergie ou le numérique est une impasse. Dans ce domaine, s’il faut accompagner les acteurs vers la transition écologique, il faut aussi ouvrir le chantier de la transformation sociale, considérer l’entreprise, d’abord, comme le lieu de construction des collectifs de travail qui sont l’acteur premier de la création de valeur.
Si nous notons avec satisfaction l’annonce d’un Schéma directeur des collèges, nous souhaitons renforcer l’ambition d’un retournement démocratique de l’institution métropolitaine. Le vieux Conseil de développement, une structure d’experts sans liens avec les Conseils de quartier, ne peut nous suffire. Il faut de nouveaux moyens humains pour construire une vraie relation avec les citoyens dans la relation avec les communes. Cela suppose d’engager la territorialisation de la métropole, et des moyens pour de grands moments de démocratie participative. Nous avions proposé une grande enquête publique sur la mobilité pour un nouveau PDU… les sujets ne manquent pas… pourquoi pas la réussite de nos enfants, de notre jeunesse avec une campagne de l’école à l’université, avec les communes et la région, sur l’avenir de notre jeunesse, depuis la lutte contre l’échec scolaire à l’enjeu de la citoyenneté, de la lutte contre les addictions, le harcèlement, les discriminations à l’accès au métier, à l’emploi, …
Comme vous le voyez, monsieur le Président, dans ce débat d’orientations et comme nous l’annoncions le 27 juillet lors de la mise en place de notre conseil, nous voulons contribuer à la majorité nouvelle de la métropole en faisant vivre l’exigence de changement de société à travers les projets que nous porterons pour plus de justice sociale et territoriale.
La vidéo de l’intervention : //youtu.be/4vstNFaGbGc?t=9039