M. le Conseiller MILLET : Monsieur le Président, chers collègues, la délibération autorisant la Métropole à être actionnaire minoritaire d’une société privée est une première, et les incertitudes sur le modèle économique interrogent sur le sens de la décision qui nous est proposée… Il semble que l’intervention métropolitaine soit nécessaire pour équilibrer une opération qui bénéficie ainsi d’un bonus pour investissement participatif. Permettez-nous de sourire devant cette définition du participatif ! En tout cas, un TRI (Taux de rentabilité interne) de 2 à 3 % dans une opération qui bénéfice d’un bonus sur ses ventes de 3,5 %, cela paraît effectivement une construction ad hoc… surtout quand il n’y a pas de coût direct de la production ! …
S’agit-il de dynamiser cette Vallée de la chimie -qui connaît beaucoup d’études, beaucoup de terrains disponibles aussi, mais peu de réalisations pour l’instant- ? Difficile de le penser : cette opération n’aura pas réellement d’impact sur l’économie de la vallée. Nous ne connaissons pas les conditions des baux avec les industriels, qui n’en attendent certainement pas de revenus significatifs ; un seul projet inclut de l’autoconsommation sans qu’on en connaisse les conditions économiques pour l’industriel concerné… À vrai dire, on se demande quelles sont les « retombées économiques positives pour le territoire » évoquées dans la délibération.
Il semble donc qu’il s’agisse, d’abord, de faire événement dans les EnR métropolitaines. Ce que confirme la délibération, évoquant en introduction : « Une production photovoltaïque métropolitaine encore timide mais en plein devenir, et un contexte réglementaire favorable […] » Alors, regardons l’impact environnemental, économique et social de ce projet.
D’abord, l’impact environnemental.
Le facteur de charge constaté sur les installations métropolitaines est plutôt bas : 27GWh pour 25GWh. Ce qui correspond à un fonctionnement sur 1 080 h/an, soit 12,3 % du temps… quand la moyenne nationale est un peu au-dessus de 1 200h… À vrai dire, les recettes annoncées de 800K€ par an correspondent, sur la base du tarif avec bonus de 89,50€, à un fonctionnement un peu supérieur à 1 200h. On suppose donc que le pari est une amélioration technologique par rapport au parc existant dans la métropole.
D’un point de vue environnemental, comme toujours dans les EnR électriques, il faut regarder de près l’impact de cette production sur les émissions carbonées. En effet, les sites de la Vallée de la chimie fonctionnent, pour beaucoup, en continu et, pendant 87 % du temps, Lyon Rhône solaire ne contribuera pas à la production ! Or, nous payons désormais des mécanismes de capacité pour garantir que certains producteurs ont, eux, une capacité permettant de répondre à la demande, à tout moment. Chaque fois que nous investissons 1MW intermittent à faible taux de charge, qui plus est prioritaire sur le réseau, il faut qu’un autre producteur prévoit la même capacité capable d’assurer la permanence de la fourniture.
Certains nous disent que le foisonnement va résoudre ce problème, en garantissant qu’il y ait tout le temps un producteur disponible quelque part sur le réseau. Tout indique que ce n’est pas le cas, et l’exemple allemand est éclairant. On peut le comprendre : il y peu de soleil la nuit, à Lyon comme à Marseille !
Or, nous savons que la capacité électrique disponible à tout moment, pour suppléer à l’intermittence, fait appel très largement aux fossiles. Autrement dit, pendant 87 % du temps, ce projet contribue à augmenter la part carbonée de notre électricité !
C’est pourquoi nous pensons qu’il aurait été légitime, pour la Métropole, d’aider un projet innovant comme nous le faisons avec le biogaz à la Feyssine qui aurait, par exemple, cherché un partenariat avec Air Liquide pour un stockage hydrogène ou organisé l’autoconsommation systématique sur les sites industriels…
Nous demandons, en tout état de cause, qu’un bilan carbone complet de l’opération soit réalisé, prenant en compte l’origine des panneaux, les transports liés à leur production et leur livraison, les chantiers de réalisation, la maintenance future du parc, et le coût carbone des capacités de substitution mobilisées pendant la production de ces installations.
Concernant le modèle économique.
Si le coût d’investissement de 9,6M€ pour 7,4MW, soit 1,3€ par KW, correspond à l’état des techniques, la rentabilité affichée nous interroge. En prenant le taux de charge de 1 200h et le tarif annoncé, on obtient un chiffre d’affaires global, sur 25 ans, de 20M€ : ce qui donne, effectivement, un TRI de presque 3 %, mais nous n’avons pas de précisions sur le bilan d’exploitation, le niveau des frais de maintenance et de location, les frais financiers des emprunts, …
D’un côté, la recette est garantie et c’est donc un investissement peu risqué pour lequel ce TRI paraît confortable, et on peut se demander pourquoi cet investisseur a besoin de ce montage et pourquoi les grandes entreprises support n’interviennent pas directement dans cette opération. Elles auraient pu créer un GIE (Groupement d’intérêt économique), par exemple, surtout dans l’objectif de prioriser leur autoconsommation.
Mais, tout repose sur le tarif d’achat -89,5 €/MWh, qui représente 2,13 fois les 42 €/MWh- auquel EDF est tenue de vendre son énergie nucléaire à… ses concurrents. Autrement dit, le surcoût d’achat (et non de « rachat » !) de l’électricité produite par « Lyon Rhône Solaire » calculé par la CRE (Commission de régulation de l’énergie), en référence au sacro-saint « prix de marché », peut être estimé à 47,5 €/MWh. Autrement dit, la moitié des recettes de ce projet seront payées par la CSPE (Contribution au service public de l’électricité) -cette taxe, qui grossit dans les factures des consommateurs d’électricité, de l’ordre d’un demi-million par an-. Merci pour eux !
La délibération se félicite du fait que la Métropole touchera des dividendes. Rappelons que l’investisseur privé touchera 45 % des dividendes, les consommateurs ayant payé 53 % de la facture en taxes !
Au total, il est clair que les industriels de la chimie, dont des filiales ou anciennes filiales du groupe TOTAL -un grand groupe du développement durable comme chacun sait-, se seront offert un beau verdissage, peut-être lucratif, et la Métropole pourra communiquer sur une réalisation EnR électrique de grande ampleur… Mais sans impact sur la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre…
Enfin, rien ne nous dit d’où viendront les panneaux, nous le savons tous. Peut-être seront-ils estampillés France dans une usine d’assemblage mais, comme vous le savez, les panneaux chinois ne sont plus taxés dans l’Union européenne depuis ce mois de septembre…
Non, vraiment, cette délibération n’est légitime ni pour le social, ni pour l’économie, ni pour l’environnement, ni pour la métropole, ni pour la Vallée de la chimie ! Nous appelons notre conseil à la refuser.