Mme la Conseillère BURRICAND : Monsieur le Président, chers collègues, je dois vous dire que cette délibération m’a demandé un gros travail de recherches. J’aime bien comprendre ce que je vote, c’est le minimum de respect pour nos électeurs. Le moins qu’on puisse dire, c’est que, même en commission, les éléments justifiant cette subvention et le choix des intervenants étaient plus que flous.
Les remous, les contestations suscités par Edumix l’année dernière au Collège Elsa Triolet, les discussions sur ces thèmes avec des enseignants divers me conduisent à ne pas prendre ce sujet à la légère. La démarche proposée ici ne fait pas consensus dans le corps enseignant.
Je me suis donc interrogée : qui est François Taddei -dont le nom ne m’était jusque-là pas parvenu-, qu’est-ce que le CRI, qu’est-ce qu’Ashoka, que recouvre le concept de « société apprenante » ?
La délibération elle-même interroge : pourquoi ce florilège de formules aussi séduisantes que vides ?
Il en est de même pour la convention que j’ai pris soin de lire. J’en cite quelques extraits :
« Identifier et fédérer les acteurs du changement provenant de mondes différents (institutions publiques, société civile, secteur privé, recherche, etc.) »
Public/privé dans l’Éducation nationale ?
L’appui sur Ashoka est explicite. Je suis donc allée voir ce qu’était Ashoka puisqu’en commission aucune réponse sérieuse ne m’avait été donnée sur cette ONG. Je n’ai pas vraiment été rassurée.
Ashoka France annonce ses objectifs :
Détecter les entrepreneurs sociaux dont les innovations répondent aux enjeux de société dans tous les domaines et accompagnent leur développement. Mais qui détermine les enjeux ; à partir de quels critères, de quels objectifs ; qui décide qui est innovant, sur quelle base ?
Connecter des acteurs de différents horizons (ceux de la société civile comme des secteurs publics ou privés) « pour accélérer l’émergence de nouveaux modèles en faveur de l’intérêt général ». Tout dire pour ne rien dire…
Ashoka résume ainsi son projet : « Pour être acteur du changement et contribuer à transformer positivement la société, les nouvelles générations doivent acquérir des compétences et des qualités essentielles telles que la prise d’initiative, la collaboration ou l’empathie »… Je dois dire que le mot « empathie » utilisé dans un tel contexte m’a choquée. Auront-ils encore droit à la colère et à la révolte ?
Ashoka affirme aussi vouloir que « chaque individu, dès le plus jeune âge, soit en mesure de transformer positivement la société dans laquelle il grandit ». Quelle ambition ! Pour combien se concrétisera-t-elle sans action collective et transformation sociale ? Et Ashoka ne prétend rien de moins que de transformer l’expérience éducative avec ses « Changemakers Schools » et ses « Fellow Ashoka », se prétendant en quelque sorte maître à penser de l’éducation.
Parlons argent ! Ashoka, c’est 42 millions de dollars dont 2 millions pour la France. Des partenaires comme American Express, Cartier, Bettencourt, BNP Paribas, la fondation Bettencourt Schueller finançant largement le CRI, dont je ne suis pas certaine qu’il ait besoin d’argent public. En tout cas, nous n’avons pas les éléments pour le décider aujourd’hui. Le ministre de l’Éducation nationale a annoncé la suppression de 1 800 postes, pour l’essentiel, dans les collèges. Je manque peut-être un peu d’empathie mais pas de sens critique : quand on affaiblit un service public et qu’on y introduit, sous prétexte d’innovation, des officines privées financées par les grosses fortunes mondialisées, c’est qu’il y a un loup.
Nous nous opposerons donc à cette délibération.