Monsieur le Principal,
Étant intervenue au Conseil du 17 septembre dernier, je dois vous dire que la délibération concernant le « Territoire éducatif innovant » et la subvention au Centre de recherches interdisciplinaires (CRI) m’a demandé un gros travail de recherches. Et les remous, les contestations suscités par Edumix l’année dernière au Collège Elsa Triolet, les discussions sur ces thèmes avec des enseignants divers me conduisent à ne pas prendre ce sujet à la légère. La démarche proposée ne fait pas consensus dans le corps enseignant.
L’appui sur l’ONG Ashoka est explicite. Je suis donc allée voir ce qu’était Ashoka puisqu’en commission aucune réponse sérieuse ne m’avait été donnée sur cette ONG. Je n’ai pas vraiment été rassurée. Ashoka France annonce ses objectifs :
- Détecter les entrepreneurs sociaux dont les innovations répondent aux enjeux de société dans tous les domaines et accompagnent leur développement. Mais qui détermine les enjeux ; à partir de quels critères, de quels objectifs ; qui décide qui est innovant, sur quelle base ?
- Connecter des acteurs de différents horizons (ceux de la société civile comme des secteurs publics ou privés) « pour accélérer l’émergence de nouveaux modèles en faveur de l’intérêt général ».
Ashoka résume ainsi son projet : « Pour être acteur du changement et contribuer à transformer positivement la société, les nouvelles générations doivent acquérir des compétences et des qualités essentielles telles que la prise d’initiative, la collaboration ou l’empathie »… Je dois dire que le mot « empathie » utilisé dans un tel contexte m’a choquée. Auront-ils encore droit à la colère et à la révolte ?
Ashoka affirme aussi vouloir que « chaque individu, dès le plus jeune âge, soit en mesure de transformer positivement la société dans laquelle il grandit ». Quelle ambition ! Pour combien se concrétisera-t-elle sans action collective et transformation sociale ? Et Ashoka ne prétend rien de moins que de transformer l’expérience éducative avec ses « Changemakers Schools » et ses « Fellow Ashoka », se prétendant en quelque sorte maître à penser de l’éducation.
Enfin, Ashoka, c’est 42 millions de dollars dont 2 millions pour la France. Des partenaires comme American Express, Cartier, Bettencourt, BNP Paribas, la fondation Bettencourt Schueller finançant largement le CRI, dont je ne suis pas certaine qu’il ait besoin d’argent public. En tout cas, nous n’avons pas les éléments pour le décider à ce jour.
Le ministre de l’Éducation nationale a annoncé la suppression de 2 600 postes, pour l’essentiel, dans les collèges. Je manque peut-être un peu d’empathie mais pas de sens critique : quand on affaiblit un service public et qu’on y introduit, sous prétexte d’innovation, des officines privées financées par les grosses fortunes mondialisées, c’est qu’il y a un loup.
Souhaitant attirer votre attention sur cette question et des risques de dérive pour le service public,
Nous vous informons que nous n’avons pas voté la subvention au CRI.
Marie-Christine BURRICAND, Conseillère métropolitaine