M. le Conseiller P-A. Millet : Monsieur le Président, l’assassinat récent de Mehdi Kessaci à Marseille est une illustration tragique des tensions qui fracturent notre société. Sans doute, les narco-tueurs l’ont ciblé parce que son frère Amine était engagé dans la lutte citoyenne contre le narcotrafic. Les médias ont évoqué l’association Conscience qu’il a créée, mais peu ont mentionné l’Appel de Marseille auquel il a contribué, soutenu par des personnalités comme Robin Renucci et porté, notamment, par les communistes des quartiers nord. Je vous invite à le découvrir et à rejoindre cette mobilisation citoyenne contre les trafics et les violences qui gangrènent nos territoires.
Marseille éclaire une situation que nous connaissons bien, partout, dans l’agglomération. Ce sont les habitants des quartiers populaires qui en sont les premières victimes, comme il y a peu à Rillieux-la-Pape. On ne peut que partager la colère devant un incendie criminel qui met plusieurs familles à la rue, après ceux de Vénissieux au printemps 2024 ou de Villeurbanne et de Saint-Fons en 2023. Ce sont les maires qui sont en première ligne pour organiser le relogement, et le sujet pourrait faire l’objet d’un consensus républicain.
Mais le débat politique transforme ces drames en polémiques où il faudrait se définir par rapport à des étiquettes, quand les habitants concernés ne voient que le drame et l’urgence. Cette vie politique enfermée dans des calculs électoraux est en crise, rejetée par une grande majorité -terreau d’une dérive à l’extrême droite, qui ne repose pourtant elle-même que sur des polémiques.
Le vœu proposé en retard par le groupe LR en est une illustration, dénonçant les baisses de crédits gouvernementaux 2026 pour les missions locales et l’accompagnement des jeunes. La droite qui dénonce des baisses de dépenses publiques, quelle ironie terrible ! Les mêmes, majoritaires à la Région, ont voté une baisse de 10 % des subventions aux missions locales pour 2025 ! Vos députés voteront contre le budget parce qu’il ne réduit pas assez les dépenses ! Vos dirigeants ne cessent de dénoncer les dépenses publiques ! Vos candidats aux présidentielles en rajoutent dans la course aux promesses des baisses de dépenses publiques !
Quand la politique devient à ce point un théâtre où on peut dire « blanc » ici ou hier et dire « noir » là-bas ou demain, où on peut prendre la défense d’un service public ici tout en l’attaquant ailleurs, alors, la politique est stérile, le modèle démocratique occidental électoral a fait son temps.
D’ailleurs, dans le débat budgétaire, personne ou presque ne dénonce les fortes hausses de dépenses militaires. Pourquoi ne pas étendre la fiscalité sur le patrimoine improductif aux investissements militaires ? Non, nous diront les droites réunies et, malheureusement, beaucoup à gauche, les investissements militaires sont productifs ! Eh oui, car on fabrique des armes pour s’en servir ! Et ce n’est plus de l’ironie, c’est de la colère de penser que certains pourraient voter un budget avec un record de dépenses militaires, 6 milliards de plus, dans la perspective des 5 % du PIB demandé par Trump, que planifient tous ses toutous européens.
Combien de morts représentent le stock d’armes existants, et combien les prévisions de production à venir ? La deuxième guerre mondiale ne sera rien par rapport à ce que les dirigeants occidentaux planifient ! La deuxième guerre mondiale ne sera rien par rapport à ce que les dirigeants occidentaux planifient !
Sans compter la dérive nucléaire ! Obama avait commencé à remettre en cause les traités internationaux limitant les armes nucléaires, Biden a poursuivi et Trump franchit la ligne rouge, demandant de nouveaux essais alors que les armes existantes permettent déjà de détruire plusieurs fois l’humanité toute entière !
Mais ce n’est pas nous qui avons commencé, disent les leaders occidentaux, ce sont les méchants d’ailleurs -les autocrates, les illibéraux, les Chinois- et vous aurez remarqué que, souvent, ils ne sont pas de notre monde occidental et, pire encore, ils sont parfois communistes…
Il est stupéfiant de voir se développer un véritable racisme occidental dans nos médias, jusqu’à beaucoup de gens sincères. J’ai entendu un dirigeant de gauche dire que la Chine, après avoir tué la production textile en France, allait tuer la distribution avec le développement de Shein. Ce n’est pas le scandale de ces plateformes commerciales qui autorisent la pédocriminalité, la vente d’armes ou de drogues, malheureusement nombreuses, qui explique la crise du textile.
Au début de ma vie professionnelle, j’ai travaillé pour des entreprises du textile et de l’ameublement. Les 3/4 ont disparu. Aucune n’a été fermée par la Chine mais par leurs actionnaires, souvent familiaux. Les raisons sont complexes, mais on peut produire en France… Le Slip français… les chaussettes Bleuforêt et tant d’autres… Pourquoi pas dans les années 80 ? D’abord, à cause de la grande distribution occidentale qui cherchait à produire à bas coûts, ensuite aux grandes entreprises du secteur -BMC, Boussac- qui mettaient en œuvre les logiques patronales du recentrage sur le coût de métier, de la financiarisation dans les chaînes logistiques mondialisées, entraînant derrière elle tant de PME. Ce sont les acheteurs occidentaux qui permettaient le développement asiatique parce que cela faisait grandir leur fortune, pas parce que les asiatiques sont venus piller notre industrie !
Parlons de l’ameublement. Nous avons encore, heureusement, l’entreprise Roset, mais nous avons perdu les meubles Grange -un symbole du meuble de famille français. Pourquoi ? Ne regardez pas vers la Chine, mais vers le nord, en Europe ! Le directeur commercial de Grange me disait : « Il y a deux sortes de Français, ceux qui achètent des meubles et ceux qui achètent des étagères. » Le marketing offensif du géant IKEA a accompagné un changement de société qui a détruit les « meubles de familles », cœur de la marque Grange. Mais personne ne propose des taxes sur les importations d’IKEA en France. Il est vrai qu’Ikea, c’est l’occident ; alors que Shein, c’est quand même des Chinois.
Vous êtes sûr ? Le siège de Shein est à Singapour. Ses actionnaires principaux sont : 1) une société de capital-risque de Taïwan ; 2) une société financière chinoise certes, mais qui a un siège à New-York ; 3) une société de capital-risque californienne ; 4) et une autre société financière US, à Boston. C’est la mondialisation financière que tous les libéraux occidentaux ont construite. La Chine accepte ce capitalisme et fait respecter ses lois, comme le montrent les mésaventures du patron d’Alibaba -lois qui se durcissent au fur et à mesure de son développement. Shein produit, désormais, de plus en plus ailleurs qu’en Chine, vendant en occident des produits très peu chers que les Chinois n’achètent plus ! Le salaire moyen chinois augmente, et la demande chinoise monte en gamme. Pendant ce temps, la paupérisation du monde occidental conduit à faire la course au discount. Cela conduit au record de clients dans le premier magasin Shein à Paris.
Ce serait, nous dit-on, une mauvaise consommation de produits jetables. Mais la majorité des clients de Shein ne dépensent que quelques centaines d’euros par an en vêtement, et ce seraient ceux qui consomment trop ? Pendant que certains dépensent dix fois plus, parfois d’argent public, pour un seul vêtement ? Quand un des vecteurs de développement de la Chine est le marché du luxe en occident ? Il faut avoir une analyse de classe des consommations pour être capable de défendre un développement socialement et environnementalement juste, sans se faire avoir dans la guerre mondiale « en prenant le parti de sa propre bourgeoisie contre les autres peuples » ! Citation connue de Lénine…
Tant que les Français qui font ce qu’ils peuvent pour acheter où ils peuvent verront des politiques multiplier les polémiques en cherchant un coupable à l’étranger, ils ne retrouveront pas l’espoir d’une société plus juste, l’espoir des jours heureux. Et accepter les injustices comme une fatalité, c’est ce qui justifie à la fois le choix de la guerre et les stratégies politiques du bouc émissaire, et donc le vote d’extrême droite. Je vous remercie.