La fin de la séance du Conseil de métropole de ce 25 janvier 2022 a été animée par des échanges vifs sur la ZFE, visiblement marqués par la période électorale.
Le groupe d’opposition de Centre droit avait déposé deux vœux concernant la ZFE, présentés par Christophe Geourjon, élu métropolitain de la circonscription Lyon sud, connu pour ses interventions très argumentées sur les transports.
Ces vœux ne disaient pas grand chose. L’un, qu’il fallait prévoir un temps d’adaptation pour les habitants ; ce qui a déjà été dit. L’autre, qu’il fallait étudier les propositions du « panel de citoyens » mis en place par la Métropole, dans le cadre de la concertation publique sur la ZFE. À vrai dire, je m’interrogeais sur la motivation de ces deux délibérations très consensuelles, apparemment, car qui peut imaginer que le Vice-Président, qui a mis en place et suivi le travail de ce panel citoyen, n’allait pas étudier avec soin leur rapport ?
Un groupe de travail regroupant tous les élus est en place. Il doit, prochainement, valider la démarche concernant les véhicules Crit’Air 5+ qui sera délibérée en mars. L’agenda de la suite est en partie déterminé par la loi, les Crit’Air 4 devant être interdits à partir du 1er janvier 2024 et les Crit’Air 3, à partir de 2025. Le travail, pour mettre en œuvre cette loi dans la métropole, est en cours…
La concertation, qui devait se terminer le 5 février, a été prolongée car beaucoup d’habitants découvrent le sujet quand on leur en parle et que, donc, la grande majorité n’a, pour l’instant, pas encore été sensibilisée à ce dossier.
Bref, on a le temps d’en parler dans les différents groupes, commissions, rencontres publiques, … Il y a un enjeu de fond sur les Crit’Air 2 et l’agenda global, en lien avec l’agenda de développement des transports en commun, qui n’étaient pas évoqués dans ces vœux. Pourquoi, alors, les présenter en fin de conseil en ce mois de janvier 2022 ? D’autant que le Vice-Président fera remarquer avec malice que, en général, quand on fait un vœu, c’est en s’adressant à quelqu’un d’autre que soi-même…
En fait, ce sujet ZFE est devenu un enjeu des élections présidentielles ! C’est pourquoi j’ai repensé à l’excellente interview de Fabien Roussel, candidat Communiste, au journal de 13 heures de TF1 le samedi 22 janvier. Il disait :
« J’alerte les téléspectateurs, il y aune bombe qui se prépare. A partir de cet été et dans les deux ans qui vont suivre, près de 2 Millions d’automobilistes ne pourront plus accéder aux grandes villes de France. Ils ne pourront plus y accéder car les voitures polluantes, les Crit’Air 3 et 4, seront interdites. Et bien moi je veux lutter contre la pollution, parce que c’est nocif pour la santé, mais sans taper sur les classes populaires, sans taper sur la classe ouvrière, la classe moyenne. Je fais donc une proposition, qu’on permette à ceux qui ont des voitures polluantes de pouvoir acheter des voitures propres, avec une prime à la conversion qui pourra monter jusqu’à 10 000€. Et je pense aussi aux jeunes qui, dans la ruralité, n’ont pas d’autres choix que la voiture pour se déplacer, je propose la gratuité du permis de conduire pour les moins de 25 ans. »
Voilà une intervention claire qui a un grand mérite. Presque 6 millions d’auditeurs (au passage, encore un record d’audience pour Fabien Roussel) qui auront entendu son message d’alerte et vont donc, peut-être, tenter d’en savoir plus sur ces ZFE. Trop peu d’habitants de la métropole se sentent concernés. Si plus de dirigeants politiques en parlaient dans une émission nationale, cela aiderait !
Mais elle est aussi claire car elle se concentre sur le problème crucial des inégalités sociales, et refuse que cette lutte contre la pollution se fasse contre les milieux populaires.
Certes, il y a beaucoup d’autres choses à dire, notamment sur la diversité des pollutions, les transports en commun, l’autopartage, les modes actifs, l’urbanisme, l’emploi, … Mais, quand on parle à l’ensemble des Français, on ne peut pas faire comme si tout le monde habitait en centre-ville !
Si le Vice-Président Jean-Charles Kohlhaas a apporté toutes les explications utiles sur la concertation en cours, le calendrier, il s’est fait piéger dans cette polémique dans le début de sa réponse :
« Quasiment la totalité de la population a la capacité ou la possibilité de la mobilité, à pied, une grande majorité, de l’ordre 75 % aurait la capacité de la mobilité à vélo, une faible minorité a la capacité de la mobilité en voiture, d’abord parce qu’un tiers des foyers n’a pas de voiture, ensuite parce qu’une partie de la population est trop âgée, trop jeune, ou parce qu’il n’y a qu’une voiture dans le foyer »
D’abord, l’homme a vite appris a domestiquer les chevaux, les vaches, les buffles pour faciliter sa mobilité et, notamment, porter des charges, il a vite inventé des bateaux, fait tirer des charrettes, puis inventé des trains… Et ce progrès dans le droit à la mobilité est une bonne chose. Il permet d’aller plus nombreux plus loin, plus vite, plus chargé…
Les 120 000 habitants de la métropole de plus de 75 ans ont le plus souvent des difficultés à conduire une voiture, mais ils sont au moins aussi nombreux à avoir des difficultés de marche, encore plus de vélos. Malheureusement, la vie est inégale et s’il existe des championnats de ski des plus de 80 ans, ils ne concernent que bien peu de personnes de cet âge.
Alors oui, il faut favoriser les modes actifs dans l’urbanisme, dans les déplacements, aussi pour des raisons de santé publique, mais ils ne peuvent assurer à eux seuls le droit à la mobilité.
Ensuite, ce n’est pas parce que des pauvres n’ont pas les moyens d’acquérir une voiture qu’il faut considérer que c’est normal et que, en quelque sorte, il faudrait que plus de foyers soient contraints ainsi à se passer de voiture.
Certes, on peut choisir la « démotorisation ». C’est un choix de vie, comme d’habiter dans une campagne éloignée de tout. On peut choisir de se déplacer peu ou, au contraire, de ne pas tenir en place. On peut, quand on en a les moyens, habiter et travailler au cœur urbain d’une grande ville et profiter de la « ville des courtes distances » pour ne se déplacer qu’en modes actifs. Sans aller jusque là, je suis très heureux d’habiter aux Minguettes et de pouvoir aller au cinéma à pied.
Mais, une politique publique ne peut chercher à imposer un mode de vie. Elle peut imposer des contraintes justifiées par cette belle définition de la liberté qui « n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ». Autrement dit, le partage de l’espace public, des ressources énergétiques, de l’environnement peut justifier des limitations au droit à la mobilité, mais « ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. »
Donc, devant le constat que beaucoup de foyers populaires n’ont pas de véhicules, je me poserais plutôt la question, comme Fabien Roussel, de leur permettre d’y avoir accès, s’ils en font le choix bien sûr !
Le débat sur la ZFE a besoin d’éviter les polémiques stériles, et tout ce qui renvoie à des stéréotypes sur le bon cycliste [1] et le méchant automobiliste ne sert pas le débat citoyen pour une autre mobilité, pour réduire la place de la voiture dans la ville, non pas parce que la voiture est « mal » mais parce qu’elle consomme trop d’espaces pour ce à quoi elle sert, parce qu’elle ne peut pas répondre aux besoins de mobilité du quotidien aux horaires de pointe ou elle nous fait perdre notre temps dans les bouchons… Il y a suffisamment de bonnes raisons pour développer les modes actifs, les transports en commun, l’autopartage.
[1] au passage, la déclaration de l’élu Jérome Bub, disant « à quoi reconnaît-on un écologiste, à son casque de vélo », est déconcertante de mépris pour les autres… désormais, je porterai un casque rouge pour qu’il puisse faire la différence…