M. le Conseiller MILLET : Madame la Vice-Présidente, chers collègues, si l’industrie est bien confrontée, comme le dit la délibération, à des défis environnementaux majeurs, nous pensons qu’elle est d’abord confrontée à la désindustrialisation que toutes les politiques publiques de relance de l’industrie ont échoué à inverser. Et la crise nous a rappelé que nous ne pouvions plus produire de masques, de tests, de respirateurs ou de vaccins.
Personne ne dit aujourd’hui, comme Lionel Jospin, qu’il n’y peut rien ! Mais les plans successifs de Sarkozy, Hollande, Montebourg ou Macron ont échoué et nous pensons qu’ils échouent car ils reposent toujours sur la baisse « du coût du travail » pour une rentabilité attirant des investisseurs. Ils ont coûté des milliards d’argent public, pour l’instant sans résultat sauf pour les investisseurs bénéficiaires des aides, car, bien entendu, il n’y a jamais de contrôle de l’usage des financements et vous connaissez tous la dure réalité des promesses de General Electric !
J’avais cité dans ce Conseil, il y a deux ans, les chiffres du cabinet Trendeo (bien connu de ceux qui suivent l’industrie) :
– Bilan Sarkozy : 329 sites industriels nets perdus et 350 000 emplois industriels.
– Bilan Hollande : 278 sites industriels nets perdus et 100 000 emplois industriels.
Nous n’avons pas encore le bilan Macron, mais il est vrai que le rythme de fermetures s’est ralenti, que les années 2017 et, surtout, 2019 étaient positives en emploi, avant le choc de 2020. Il paraît que le rebond 2021 est plus vigoureux qu’espéré. Pour l’instant, sur le premier trimestre, il y avait 18 000 chômeurs de plus et 16 000 de moins sur le deuxième trimestre…
Rappelons quelques exemples locaux : le site JST, vidé de l’essentiel de sa production ; les meubles Grange, entreprise symbole des Monts du Lyonnais définitivement fermé, ou encore le site Usin de Vénissieux, qui fait l’objet de gros efforts de la Métropole mais qui ne peut résoudre les difficultés technologiques et économiques de Boostheat…
Certes, le Green New Deal européen fait de la relance de l’innovation dans l’industrie un axe fort, mais nous savons tous que la concurrence libre et non faussée se fait d’abord au service de l’industrie allemande. Regardez les choix d’investissements du groupe Bosch ! Nous avons l’habitude des promesses européennes depuis la célèbre annonce de Lisbonne de faire de l’Union européenne : « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».
Et les emplois verts n’ont pas non plus de formule magique. Le cabinet Trendeo donne un bilan 2009-2016 du secteur dit « du développement durable », avec 40 000 créations d’emplois mais aussi 20 000 suppressions.
Bien entendu, nous soutenons l’ambition de « préserver les espaces productifs à toutes les échelles du territoire », à commencer par l’urgence absolue de maintenir toutes les activités productives restantes dans la ville-centre. Nous soutenons les efforts de la Métropole et de sa Vice-Présidente, Émeline Baume, pour multiplier les initiatives en faveur de l’industrie, et la création de ce fonds peut être un outil utile, nous l’espérons -un fonds de 32M€ public et, au moins, autant de privé. Au passage, si le bilan devait être de 1€ privé pour 1€ public, cela nous semblerait insuffisant.
Mais pour combien de créations d’emplois ? Depuis vingt ans, les aides massives aux entreprises n’ont pas inversé la tendance. Nous posons donc la question qui fâche : qui doit décider de l’avenir de l’industrie, des investissements, de leur nature, des systèmes sociotechniques de production, des qualifications nécessaires ? Les investisseurs seuls ? Leur critère de décision est clair : ce n’est pas le nombre d’emplois créés, mais le retour sur investissement. Quelle place aux salariés, au débat public dans ces décisions d’investissements ?
Ce fonds doit chercher des investisseurs privés de long terme avec les risques de perte, donc l’exigence de rentabilités suffisantes pour couvrir ces risques. Quels poids auront ces investisseurs dans des décisions qui doivent prendre en compte des critères d’impact territorial utiles, mais non définis dans la délibération ? Il est évoqué une batterie d’indicateurs socio-économiques et environnementaux dans la politique de reporting de la société. À l’évidence, le nombre et la nature des emplois créés devraient en faire partie : combien de CDI, combien d’emplois par niveau de formation, quelle part d’insertion, quels liens avec les filières de formation professionnelles ? Nous souhaitons qu’un bilan annuel soit communiqué au Conseil et que la batterie d’indicateurs soit présentée en commission économie.
Si cet outil permet d’accélérer la création d’emplois industriels, alors nous dirons -à la Chinoise- « Peu importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape les souris ! », cela dit, la Chine a toujours encadré étroitement l’investissement privé dans un plan public de développement assurant cohérence et, parfois, bloquant les investisseurs qui oublient pourquoi la puissance publique facilite leur investissement. Pour l’instant, la France n’a ni de planification ni de plan d’aménagement et, bien sûr, aucune volonté de contraindre les investisseurs à atteindre des objectifs sociaux… Permettez-moi de citer la belle formule de Fabien Roussel : « ils mettent le pays à genoux ; moi, je vais les mettre au pas » !
Enfin, madame la Vice-Présidente, vous connaissez notre attachement à l’industrie dans la ville et vous savez que nous pensons que les meilleurs liens entre les industries, leurs territoires et les habitants, ce sont les salariés eux-mêmes ! Car les impacts potentiels d’une usine pour ses riverains, ce sont d’abord les impacts pour les salariés et, donc, un élément central de leurs conditions de travail. Pour nous, l’industrie, c’est d’abord et avant tout des collectifs humains de compétences, de qualifications, de solidarités sans lesquels les investisseurs ne sont rien.