M. le Conseiller BRAVO : « Quand, à force d’économies, vous réussissez à vous payer la bagnole de vos rêves, celle que j’ai shootée dans ma dernière campagne, je l’aurai déjà démodée. J’ai trois Vogue d’avance et je m’arrange toujours pour que vous soyez frustré. Le glamour, c’est le pays où on n’arrive jamais. Je vous drogue à la nouveauté et l’avantage, avec la nouveauté, c’est qu’elle ne reste jamais neuve. Il y a toujours une nouvelle nouveauté pour faire vieillir la précédente. Vous faire baver, tel est mon sacerdoce.
Dans ma profession, personne ne souhaite votre bonheur parce que les gens heureux ne consomment pas. Votre souffrance dope le commerce. Dans mon jargon, on l’a baptisé la « déception post-achat ». Il vous faut d’urgence un produit mais, dès que vous le possédez, il vous en faut un autre. L’hédonisme n’est pas un humanisme, c’est du cash-flow ; sa devise : « Je dépense donc je suis ».
Mais, pour créer des besoins, il faut attiser la jalousie, la douleur, l’inassouvissement. Telles sont mes munitions et ma cible, c’est vous. Je passe ma vie à vous mentir et on me récompense grassement. Je gagne 13 000 €, sans compter les notes de frais et la bagnole de fonction, les stock-options, le golden parachute. L’euro a été inventé pour rendre les salaires des riches six fois moins indécents. Connaissez-vous beaucoup de mecs qui gagnent 13 k€ à mon âge ? Je vous manipule et on me file la nouvelle Mercedes SLK avec son toit qui rentre automatiquement dans le coffre, ou la BMW Z3, ou la Porsche Boxster, ou la Mazda MX5. J’interromps vos films à la télé pour imposer mes logos et on me paye des vacances à Saint Barth, ou à Lamu, ou à Phuket, ou à Lascabanes. Je rabâche mes slogans dans vos magazines favoris et on m’offre un mas provençal, un château périgourdin ou une villa en Corse, ou une ferme ardéchoise, ou un palais marocain, ou un catamaran antillais, ou un yacht tropézien.
Je suis partout et vous ne m’échappez pas. Où que vous posiez les yeux, trône ma publicité. Je vous interdis de vous ennuyer, je vous empêche de penser. Le terrorisme de la nouveauté me sert à vendre du vide. Demandez à n’importe quel surfeur, pour tenir à la surface, il est indispensable d’avoir un creux en dessous, surfer c’est glisser sur un trou béant ; les adeptes d’Internet le savent aussi bien que les champions de Lacanau.
Je décrète ce qui est vrai, ce qui est beau, ce qui est bien. Je caste les mannequins qui vous feront bander dans six mois. A force de les placarder, vous les baptisez tops models ; mes jeunes filles traumatiseront toute femme qui a plus de quatorze ans. Vous idolâtrez mes choix. Plus je joue avec votre subconscient, plus vous m’obéissez : si je vante un yaourt sur les murs de votre ville, je vous garantis que vous allez l’acheter. Vous croyez que vous avez votre libre arbitre mais, un jour ou l’autre, vous allez reconnaître mon produit dans le rayonnage d’un supermarché et vous l’achèterez, comme cela, juste pour goûter. Croyez-moi, je connais mon boulot. Mmm, c’est si bon ! Votre désir ne vous appartient plus, je vous impose le mien, je vous défends de désirer au hasard, votre désir est le résultat d’un investissement qui se chiffre en milliards d’euros, c’est moi qui décide aujourd’hui ce que vous allez vouloir demain. »
Monsieur le Président, mesdames et messieurs les Vice-Présidents, mes chers collègues, je n’ai pas résisté à vous lire -et vous l’avez reconnu- un extrait du best-seller 99 francs rebaptisé 14,99 euros et écrit par le trublion romancier et ex-publiciste reconverti aux chroniques télévisuelles et radiophoniques Frédéric Beigbeder. Si l’humour transcende le livre avec un fond de trame de réalité de la publicité, de ses objectifs, ses stratégies et de sa raison d’être, il en va autrement de l’enjeu de l’élaboration du Règlement local de publicité.
On peut se féliciter de la volonté de la Métropole de faire avec les Communes pour élaborer un règlement qui soit le plus consensuel et démocratique possible. C’est là l’objectif certain mais qui, de fait, est moins-disant et qui risque de revêtir une injustice profonde puisqu’il pourrait ainsi laisser pour compte le travail déjà réalisé par nombre de Communes qui ont mené des politiques volontaristes pour diminuer la pollution visuelle liée à la publicité.
La véritable démarche démocratique serait que le futur texte acquiert, à la fin de sa rédaction, l’adoption à l’unanimité des Communes. Ce texte ne peut donc qu’être le dénominateur commun émanant de la ville menant à ce sujet les politiques les plus audacieuses en matière d’affichage publicitaire pour lutter contre la pollution visuelle, surtout à l’ère du numérique car s’il en était autrement, cela serait vécu comme un déni des politiques communales en matière d’affichage publicitaire mais, au-delà, une remise en cause de la réalité métropolitaine.
Je vous remercie.