M. le Conseiller MILLET : Monsieur le Président, chers collègues, cette étude sur la richesse dans la Métropole est nécessaire, monsieur le Président, tant les débats sont vifs sur vos déclarations à propos de Laurent Davezies, dont la présentation par le service de presse de la Métropole est aussi éclairante que l’étude elle-même.
Le titre du communiqué de presse de la Métropole est réjouissant : « La Métropole de Lyon, un moteur de solidarité interterritoriale » mais l’argument principal de l’étude, plus sobrement intitulée « La nouvelle question territoriale » est simple ; je la cite : « D’un côté, le processus de concentration métropolitaine de la production s’accélère, de l’autre, la dynamique de réduction des disparités de revenus entre les territoires est en train de s’inverser » ; comprenez qu’elle se réduisait historiquement en France et que ce n’est plus le cas. Je cite encore : « Depuis le milieu des années 2000, on assiste à la fois à une forte accélération des inégalités de PIB par habitant et à un ralentissement de la réduction des inégalités interrégionales de revenu par habitant ». Mieux -je cite toujours- : « Une analyse des données sur le revenu déclaré des ménages entre les Départements suggère aussi que nous pourrions assister à un arrêt des mécanismes de réduction des inégalités de revenu entre nos territoires ». Et la conclusion est glaçante : « Les inégalités de PIB comme de revenu qui s’aiguisent à nouveau aujourd’hui risquent de ne pas être, cette fois-ci, le stade initial difficile mais transitoire d’un développement économique bénéficiant au final à tous. Contrairement à ce qui s’est produit dans le passé, elle pourrait bien ne pas être un mauvais moment à passer ».
Cette étude vous aidera donc bien difficilement, monsieur le Président, à convaincre des bienfaits de la Métropole dans la crise. D’autant que nous savons aussi, avec les études de la Fondation Abbé Pierre, des statistiques récentes sur l’évolution des revenus entre quartiers de la Métropole ou tout simplement par notre propre connaissance de terrain, que les inégalités à l’intérieur de la Métropole s’accroissent.
Il faudrait donc aussi s’intéresser à la pauvreté et au rôle que les pauvres jouent dans les échanges économiques, notamment par la précarité et la flexibilité de leur insertion dans le marché du travail. Le grand groupe Amazon pourrait-il proposer un service de livraison à domicile en une heure à Paris s’il n’y avait pas des milliers de jeunes capables d’accepter, en auto-entrepreneurs, de prendre tous les risques dans un travail sans droits et sans protection ? La population de cadres supérieurs est en forte progression dans la Métropole et, avec elle, le besoin d’emplois de service -on disait, au 19° siècle, « de domestiques »- ; mais quel mode de vie des pauvres enfermés dans ces emplois individualisés, trop souvent sans protection ?
Donc oui, il faut étudier la réalité économique métropolitaine et la manière dont chacun voit les effets de redistribution est éclairante des choix politiques. Vous reprenez avec insistance ce constat que la Métropole contribue à 3 % du PIB et ne bénéficie que de 2 % du revenu, 8 milliards manquants, alors que le Nouveau Rhône consomme un milliard d’euros qu’il ne produit pas. Mais des milliers de non-métropolitains viennent produire de la richesse dans la Métropole. Et la Belgique a aussi un écart important entre son PIB et le revenu disponible des Belges parce que beaucoup de non-résidents y travaillent. Faut-il en conclure que la Belgique serait plus solidaire ?
Les ouvriers savent depuis longtemps ce que Marx a mis en lumière : leur salaire n’est qu’une part de la valeur créée par leur travail et, le plus souvent, une petite part. De plus, la concurrence conduit les entreprises à jouer sur la valorisation des flux entre elles, afin d’orienter la valeur ajoutée au mieux possible où elle sera le moins fiscalisée. Les statistiques économiques ne peuvent voir ce jeu financier dont les multinationales sont spécialistes et qui font de sites productifs des vaches à lait pour un groupe tout en étant apparemment non rentables.
Les Grands Lyonnais paient en moyenne plus d’impôts que les Français. Quelle découverte ! La Révolution française a inventé l’impôt progressif, seul impôt républicain et juste. La vague libérale qui vous emporte, monsieur le Président, vous pousse peut-être à défendre la « flat tax », ce taux d’imposition unique, antidémocratique. Mais malgré la faible progressivité de l’impôt sur le revenu, de plus faible part de la fiscalité totale, nous savons que plus on est riche et moins on paie d’impôt total en proportion de ses revenus. C’est vrai d’ailleurs pour les entreprises aussi, les TPE honnêtes sont pénalisées quand de grands groupes négocient des rescrits fiscaux avec le Luxembourg, scandale de l’arrogance des richesses qui envoient les lanceurs d’alertes en justice.
De même, vous dites que ce que la Métropole gagne du côté des dotations, elle le perd du côté des salaires : 67 millions manquants. On pourrait, pour rire, en conclure qu’il n’y a pas assez de fonctionnaires dans la Métropole. Mais nous vous confirmons que dans une sous-préfecture du centre de la France, où les seuls gros employeurs sont dorénavant l’Éducation nationale et la Santé, la part de revenu des fonctionnaires est évidemment très importante.
Et, encore dans ce communiqué de presse, cette perle politique : « 2,6 % de l’emploi du pays dans la Métropole et seulement 1,95 % des pensions de retraite ». Je vous confirme, monsieur le Président, que le premier Département d’installation des retraités est le Var, pas la Métropole et nous savons donc tous que les retraités ne consomment pas leurs droits à la retraite là où ils ont cotisé. Belle affaire ! Cela vous étonne donc que les actifs paient les pensions des retraités. Mais c’est le principe de la péréquation, il est vrai bien mis à mal par les Gouvernements successifs de Droite et de Gauche.
Ces remarques sont bien sûr tout sauf techniques, vous l’aurez compris. Car derrière cette mesure de l’effet redistributif auquel la Métropole contribue, il y a un très ancien débat politique revenu dans l’actualité avec la Ligue du Nord en Italie : « Ne payons pas pour le Mezzogiorno », ou avec la Catalogne qui en veut pour son argent, ou encore la Flandre qui se demande à quoi sert l’État belge. Contre tous ces discours qui rejettent une République une et indivisible, nous défendons la socialisation d’une part importante des revenus pour organiser leur redistribution territoriale et sociale. Certes, vous ne concluez pas comme l’extrême Droite européenne qu’il faut faire cesser cette redistribution. Mais en la mettant en avant, vous ouvrez la boîte de Pandore de la concurrence libre et non faussée qui pousse chacun à se dire, tant la vie est dure : « D’abord pour moi et mes proches et on verra pour les autres ».
Pour toutes ces raisons, nous demandons le pluralisme dans le Comité de pilotage de cette étude, autant du côté des économistes -et nous avons des propositions à faire- que, pour apporter un autre point de vue sur les insuffisances de la redistribution, avec les associations de solidarité, le Secours populaire, la Fondation Abbé Pierre, qui portent un point de vue non économiste sur les inégalités et qui interrogeraient utilement les statisticiens et enfin des syndicats, dont plusieurs cabinets d’experts seraient d’un grand apport pour étudier les mécanismes internes aux grandes entreprises d’évasion des richesses produites, sans parler d’évasion fiscale.
Je vous remercie.
M. LE PRÉSIDENT : Merci bien, monsieur Millet. Très intéressante déclaration. Je vous invite, lorsque Laurent Davezies reviendra dans l’agglomération, à pouvoir discuter avec lui. Vous verrez que sa position est un peu plus complexe que celle que vous avez présentée. Mais je vous connais bien.
M. le Conseiller MILLET : Certes, mais j’ai lu son étude.
M. LE PRÉSIDENT : La connaissance de Karl Marx m’a montré qu’au début, il parlait de paupérisation absolue. Déjà Engels parlait de paupérisation relative, c’est vous dire que tout évolue.